Quand mes parents se sont séparés, à la fin des années 70, ce n'était déjà pas un phénomène étrange à Montréal. Je n'étais pas la première de ma classe à voir mon père et ma mère prendre des routes différentes. Et cette réalité n'avait rien de bizarroïde aux yeux de mes voisins. Ce n'était peut-être pas comme ça à l'extérieur de la métropole - d'ailleurs, le seul commentaire teinté de jugement que j'ai reçu à cet égard est venu d'une amie ayant grandi à la campagne. Mais les mariages mal engagés des années 60, ceux qu'on voit dans Mad Men, tombaient alors comme des mouches.

Rappelez-vous Toilettes pour femmes, pensez The Ice Storm.

Aujourd'hui, les séparations sont nombreuses, et Statistique Canada nous a confirmé hier que la famille construite autour d'un couple traditionnel marié continue d'être de moins en moins la norme.

Toutefois, c'est étrange, je n'ai vraiment pas plus l'impression aujourd'hui qu'à la fin des années 70 que la famille est à la dérive.

Quand mon cocon familial a disparu, pratiquement tous ceux de mon environnement étaient, eux aussi, en même temps, en train de s'effriter. Ça éclatait de partout.

En outre, le phénomène était relativement nouveau, donc on en savait bien peu sur l'art de reconstituer un noyau solidement. Adultes et enfants marchaient à tâtons dans le noir, en essayant de ne pas trop se casser la figure ni de faire trop mal aux autres, sans aide, sans expérience.

Cette nouvelle réalité des familles décomposées était très dure.

Quand je nous revois dans mes souvenirs, je me dis qu'on était à peu près aussi bien installés pour poursuivre la route que ces conducteurs des années 70 qui dépassaient la limite de vitesse, cigarette au bec, ivres et sans ceinture. Vous vous rappelez cette époque, sans siège de bébé, sans verrouillage à l'épreuve des bambins, où on pouvait échapper des enfants d'une voiture en marche? Eh bien, on échappait aussi des enfants hors des familles en voie de dislocation. Et souvent, sans même s'en rendre compte.

Aujourd'hui, Statistique Canada peint un portrait de la famille moins traditionnel que jamais. Un demi-million de familles sont de modèle recomposé, donc un couple et des enfants qui n'ont pas tous le même père et la même mère. Et si la monoparentalité est en diminution à Montréal, elle demeure bien présente un peu partout au Canada - notamment en forte augmentation à Toronto.

Ce que toutes ces statistiques ne disent pas, cependant, c'est ce sentiment très impressionniste qu'on a fait énormément de chemin depuis 50 ans, depuis le début de la remise en question du modèle familial «papa a raison».

Tout comme on porte maintenant des casques en moto, tout comme on a inventé des gadgets pour empêcher les enfants de se mettre les doigts dans les prises électriques, on réinvente la «vie de famille» en faisant plus d'effort que jamais pour que les nouveaux modèles n'oublient personne en chemin.

Rien n'est parfait et une séparation n'est jamais facile. Mais autant du côté de l'effort de chacun, de nos attentes par rapport à la famille que des outils que l'on se donne - psychologues, travailleurs sociaux, médiateurs, thérapeutes de toute sorte pour enfants, parents ou couples qui vacillent - on a un peu progressé, non? Ou c'est moi qui mets des lunettes roses.

De la même façon, on en a fait du chemin pour accepter les familles de tous les modèles, non? On compte plus de 18 000 couples gais au Québec, dont plus de 1000 couples de femmes et plus de 280 couples d'hommes qui ont au moins un enfant.

Ce ne sont pas des chiffres énormes, et j'aimerais savoir combien, parmi eux, sont mariés et en train d'ébranler la supposée sacro-sainte institution, comme le prédisaient les opposants aux mariages entre conjoints du même sexe.

Reste que ce n'est plus une anomalie. Et il faut que ça se sache. C'est important pour les jeunes gais et lesbiennes, qui rêvent d'une famille et qu'on doit rassurer: non, ils ne sont pas les seuls. Et leur idée n'est pas utopique du tout.