Doit-on être pour ou contre Uber ? Ou TaskRabbit ou Turo ou Lending Club ou n'importe laquelle de ces nouvelles applications, de ces nouveaux systèmes qui utilisent la technologie pour mettre demandeurs et fournisseurs de produits et services directement en lien avec une précision quasi chirurgicale ?

Doit-on être pour ou contre ces entreprises qui mettent en service des actifs inactifs ? Une tondeuse flambant neuve traînant dans le fond du garage à louer. Une pelouse devenue fardeau prête à devenir potager. Doit-on être opposé à ceux qui nous disent « n'achetez pas de voiture, laissez plutôt le voisin vous louer la sienne dont il se sert si peu ». Ou encore, « laissez-le vous conduire là où vous allez ». Ou bien « laissez-le, tout simplement, venir réparer la porte de votre garage »...

Ces nouvelles plateformes de services que permet la technologie sont prometteuses, modernes, adaptées à nos réalités. Lutter contre la surconsommation n'aura jamais été aussi facile. Tout se recycle sur eBay et sa vaste progéniture comme The Real Real, JustParts.com et tous ces sites de vente spécialisés qui coordonnent parfaitement collectionneurs et ramasseurs, qui permettent de dénicher LA pièce permettant une réparation, qui encouragent et activent la remise en circulation.

Et tous ces sites de services font travailler du monde. Les chauffeurs Uber qui arrondissent leurs fins de mois. Les réparateurs, rénovateurs aux mille talents qui trouvent des débouchés à leur expertise grâce à TaskRabbit et compagnie.

Les gens, les objets, même la terre... La techno permet de mieux utiliser nos ressources, ça n'a jamais été plus clair.

Doit-on être contre ? Peut-on arrêter ces transformations ?

Bien sûr que non.

Mais peut-on laisser ces systèmes se développer librement, sous prétexte que c'est ça, le progrès ? Euh... Non encore.

Le vrai progrès, ce n'est pas de dire oui à tout et certainement pas non plus de dire non à tout, inspiré par les envolées lyriques à la Guy Chevrette. Le progrès, c'est de voir les choses arriver et de s'y préparer.

Préparer la réglementation, arrimer les nouveaux systèmes aux règles du jeu locales, moderniser tout ça en veillant au respect de tous les acteurs, c'est préparer les cadres fiscaux, étudier comment on va s'y prendre pour taxer et s'assurer que tout le monde contribue de façon équitable à la collectivité.

À ne pas refaire : attendre que le nouveau service soit bien implanté avec une clientèle heureuse de cette modernité pendant que le service traditionnel stagne, ensuite se réveiller deux ans plus tard, acculé au mur, menacer de tout fermer, négocier sans réelle marge de manoeuvre... Ça vous dit quelque chose ?

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La révolution numérique et celle de l'économie dite du partage - je sais, je sais, vous êtes nombreux à trouver l'expression galvaudée et inappropriée - demandent une révolution fiscale qui est longue à venir.

En premier lieu, si la vie commerciale se passe maintenant dans les nuages, ou pratiquement, comment peut-on continuer à fonctionner avec un système d'imposition basé sur le lieu d'exploitation ?

Il faut passer à un système qui permette d'imposer les sociétés non pas selon les lois en vigueur dans les pays où elles auront choisi arbitrairement de s'installer - généralement là où les taux d'imposition sont bas -, mais plutôt là où le profit est engrangé. On parle plutôt de « où est la présence commerciale », précise Luc Godbout, grand fiscaliste de l'Université de Sherbrooke.

« Mais ça ne se fera pas dans six mois », précise-t-il. Les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques  (OCDE) y travaillent ensemble. On parle probablement d'un horizon d'une quinzaine d'années, me confie un autre fiscaliste.

Avec cela, on se dirige tranquillement vers un modèle où, par exemple, si on fait 15 % de ses profits au Canada, grâce à la clientèle canadienne, et bien on sera imposé selon les lois canadiennes sur 15 % des revenus imposables. Et cela, peu importe où est situé le centre d'affaires de l'entreprise et peu importe si les revenus ont été gagnés par de la vente par correspondance à des clients canadiens ou par de la vente de services sur le sol canadien.

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La question de la taxation directe sur les ventes est aussi délicate.

Il faut trouver des façons d'aller chercher TPS et TVQ en s'adaptant à des modèles de fonctionnement qui sont tous différents. « Mais en tenant compte de tous les concurrents », précise Luc Godbout. Le système doit être équitable.

Pour Uber, par exemple, le client paie la course avec sa carte de crédit et maintenant, en vertu de la nouvelle entente avec Québec, il paie ainsi des taxes directes puisque l'univers du taxi, pour des raisons historiques égalitaristes, n'a pas droit à l'exemption de 30 000 $ de revenus pré-taxables.

Et le chauffeur paiera en outre des impôts, selon ses revenus, sur la part de la course, 80 %, qui lui revient. Le pourcentage du prix de la course gardé par Uber, les 20 % restants, devrait, en toute logique, être imposé au Canada mais il ne le sera pas. À travers un système complexe, l'argent partira non pas vers les bureaux centraux de l'entreprise à San Francisco, mais plutôt quelque part aux Pays-Bas où il sera taxé au minimum.

Mais chaque plateforme a son modèle à elle. Si le locateur d'outil, d'appartement, fait moins de 30 000 $ en tout et pour tout, en profits, il n'a pas à facturer de TPS et de TVQ. S'il en fait plus, oui. Mais il peut alors réclamer des dépenses. Et qui facture ? Le site ? Le travailleur ? La taxation sera alors différente.

« Les deux niveaux de gouvernement doivent se préparer à la nouvelle donne. » - Luc Godbout, fiscaliste de l'Université de Sherbrooke

Ottawa notamment pour les questions d'imposition des sociétés internationales, Québec pour la taxation et les réglementations plus locales.

Car n'oublions pas, au-delà des questions fiscales, il y a aussi celles des permis.

Sur TaskRabbit, les plombiers et les électriciens ont-ils leurs fameuses cartes ?

Bonne question.

Photo Alain Roberge, La Presse