Comme ça, des étudiants en grève osent boire de la sangria sur une terrasse à Outremont.

C'est ce que Richard Martineau, chroniqueur-vedette au Journal de Montréal et à LCN, a écrit sur Twitter: «Vu sur une terrasse à Outremont, cinq étudiants avec carré rouge mangeant, buvant de la sangria et parlant au cellulaire. La belle vie.»

Invité dimanche à l'émission Tout le monde en parle, Richard Martineau s'est expliqué. Ce qui est scandaleux, a-t-il précisé, ce n'est ni la sangria ni le cellulaire, mais Outremont.

Pourquoi Outremont? La sangria s'y vend-elle plus cher? Outremont est-il un territoire sacré que seuls les riches peuvent fouler? Richard Martineau n'a pas développé sa pensée. «Pensée» est un grand mot: coup de gueule serait plus juste.

Les propos caricaturaux de Richard Martineau sont symptomatiques d'une condescendance affichée par certains politiciens et journalistes. Le ton est paternaliste, teinté d'un brin de mépris. On traite les étudiants d'enfants gâtés qui refusent de payer leur juste part, de futurs médecins qui vont rouler sur l'or et qui osent demander aux travailleurs de payer pour leur éducation. Honte à eux.

Enfants gâtés, les étudiants? Loin de là: 40% ne reçoivent aucune aide financière de leurs parents; 80% travaillent et étudient à temps plein; la moitié gagne moins de 12 200$ par année; les deux tiers n'habitent pas chez leurs parents; le quart d'entre eux hériteront d'une dette frôlant les 18 000$ à la fin de leur baccalauréat.

Ces chiffres sont tirés d'une étude réalisée par la Fédération étudiante universitaire (FEUQ) en 2010. Personne ne les a contestés.

Richard Martineau aurait dû potasser un peu son sujet avant de déchirer sa chemise, mais il aurait gâché l'effet de toge de son coup de gueule. Hé oui, des étudiants boivent de la sangria, et certains poussent l'audace jusqu'à s'aventurer à Outremont. Avec un cellulaire, en plus. Et alors? Ça n'enlève rien à la légitimité de leur grève. Doivent-ils s'habiller comme des gueux pour être pris au sérieux?

Il faut en finir avec le gel, répètent les politiciens, sauf que le gel n'existe plus depuis cinq ans. Un autre mythe qui a la vie dure. En 2007, le gouvernement a augmenté les droits de scolarité de 50$ par semestre. Depuis, la facture est passée de 1668$ à 2168$, une hausse de 30%. Où ça, le gel?

Québec vient de décréter une nouvelle hausse, 75% étalée sur cinq ans. Les droits vont presque doubler, grimpant de 2168$ en 2012 à 3793$ en 2017. C'est vrai que les droits ont été gelés pendant de longues années, mais depuis 1989, ils explosent. Ils sont passés de 547$ à 2168$, une hausse de 300%.

Le programme de prêts et bourses a été bonifié, sauf que l'endettement, aussi, sera automatiquement «bonifié». Plus de prêts = plus de dettes. Facile à comprendre.

De 1960 à 1990, le Québec a fait le choix de maintenir les droits de scolarité autour de 500$. Le but: pousser les jeunes à fréquenter l'université, chasse gardée d'une élite. Le succès est spectaculaire. En 1962, 23 000 étudiants fréquentaient l'université. Aujourd'hui, ils sont 266 000, un bond de 1000%.

Mais les acquis restent fragiles. Il ne faut pas compromettre ces progrès en augmentant de façon sauvage les droits de scolarité. Une indexation, à la limite, mais 75%, c'est indécent.

Certains groupes de droite, comme les lucides de Lucien Bouchard et CIRANO, prêchent en faveur d'une hausse différenciée des droits de scolarité, soit une grosse facture pour médecine, droit, gestion et autres médecine dentaire et pharmacie. Leurs arguments: ce sont des facultés qui coûtent cher, et les futurs diplômés vont empocher de bons salaires. À eux d'essuyer le gros de la hausse. Épargnons les petits - sociologie, philosophie, littérature - qui, eux, hériteraient d'une hausse plus modeste.

Sauf que cette solution comporte son lot d'effets pervers. Seuls le Québec et Terre-Neuve ont des droits égaux pour tous. Ailleurs, c'est le fouillis. À l'Université de Toronto, par exemple, les droits varient de 8000$ à 41 000$ par année. Qui est prêt à payer 30 000$ et plus? L'élite de l'élite? La crème de la crème?

La ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, a tourné le dos à cette solution. Une bonne décision. C'est bien la seule.