Je ne comprends pas. La grève continue dans les cégeps et les universités, 170 000 étudiants risquent de perdre leur trimestre, le climat n'a jamais été aussi tendu sur les campus, et que fait le premier ministre du Québec? Il ergote sur la signification des mots «condamné» et «distancié». J'ai l'impression de vivre dans un univers parallèle, une sorte de twilight zone déjantée.

Le Québec n'a pas besoin d'un débat épistémologique sur la signification des mots «distancié» et «condamné», mais plutôt d'un premier ministre capable de tendre la main et de mettre de côté son hostilité vis-à-vis de la CLASSE, aile radicale du mouvement étudiant, et de son porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois.

Mais reprenons les choses depuis le début. Dimanche, la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, a enfin accepté de parler aux étudiants, ce qu'elle avait refusé de faire depuis le début du conflit. Un geste pour dénouer la crise. Elle est prête à discuter de la «gouvernance des universités» avec les fédérations étudiantes, mais pas de la hausse des droits de scolarité.

Mme Beauchamp a posé une condition inacceptable: le rejet de la CLASSE. Oui, discuter avec les deux fédérations, FECQ (cégeps) et FEUQ (universités), mais pas avec la CLASSE, car celle-ci refuse de condamner les actes de violence des derniers jours.

La FEUQ a rejeté cette condition. La présidente, Martine Desjardins, a consulté les associations membres de sa fédération et le verdict est tombé, unanime: pas question de s'asseoir avec la ministre si la CLASSE est exclue.

Hier, au lieu de calmer le jeu, Jean Charest en a rajouté. «Les leaders de la CLASSE refusent de condamner les actes de violence», a-t-il dit. Puis, il a parlé «des cocktails Molotov déposés devant les bureaux de quatre élus», laissant entendre que la CLASSE était responsable de ces dérapages. Sans aucune preuve.

Sauf que la CLASSE ne contrôle pas grand-chose sur le terrain. C'est une fédération large qui carbure à la démocratie directe et qui ne décide rien sans obtenir un mandat de son congrès. Une structure lourde, bureaucratique, aberrante en temps de crise.

Donc, nous dit Jean Charest, c'est la faute de la CLASSE si tout est bloqué. Sauf que la FEUQ a aussi refusé de condamner les actes de violence. Elle s'est «distanciée» de la violence, mais sans la «condamner». Comme la CLASSE.

C'est là qu'on tourne en rond et qu'on entre dans la twilight zone. Pourquoi M. Charest ne demande-t-il pas à la FEUQ de condamner la violence? Pourquoi cette fixation sur la CLASSE? Trop radicale? Peut-être, sauf que 47% des étudiants en grève font partie de la CLASSE. Problème.

Est-ce que le gouvernement essaie de diviser le mouvement étudiant en excluant la CLASSE, comme il l'a fait en 2005?

Hier, tout le poids de l'échec des discussions a été mis sur les épaules de Gabriel Nadeau-Dubois, un jeune de 21 ans qui est sur toutes les tribunes depuis neuf semaines. Un peu réducteur, non?

La ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, n'aime pas Gabriel Nadeau-Dubois. Elle a clairement exprimé son antipathie lors de son passage à l'émission Tout le monde en parle du 18 mars. Je la cite: «Il (Gabriel Nadeau-Dubois) s'est présenté un jour avec un groupe de 40 étudiants dans mon bureau de circonscription. Ils sont entrés de force, bousculant mon personnel. Moi, j'ai un peu de misère. C'est personnel. Je suis censée effacer ça? Et je vais m'asseoir autour d'une table quand on a forcé ma porte? (...) Ma réceptionniste a eu les lunettes cassées.»

Gabriel Nadeau-Dubois ne nie pas. «C'était en septembre 2010, m'a-t-il précisé hier. On a occupé pacifiquement son bureau. Les lunettes brisées? C'était un accident. On s'était excusé à l'époque. Je m'excuse de nouveau.»

La CLASSE est prête à discuter avec la ministre sans poser de conditions. Elle voudra parler des droits de scolarité, bien sûr. Comme la FEUQ, d'ailleurs. Gabriel Nadeau-Dubois a précisé que ce n'est pas lui qui serait face à la ministre, mais un comité dont il ne fait pas partie.

Pourquoi ne pas laisser tomber ce débat ésotérique sur les mots «distancié» et «condamné» et ne pas s'asseoir à la table de négociations? Tout le monde: la CLASSE, la FECQ, la FEUQ et la ministre Beauchamp. En laissant les ego à la porte.

Et quittons enfin cette foutue twilight zone pour entrer dans la réalité, là où 170 000 étudiants sont à deux doigts de perdre leur trimestre.