Une remarque de Harijs Vitolinsh, l'entraîneur adjoint de l'équipe russe, résume bien l'évolution de la rivalité Canada-Russie depuis les grands affrontements des années 70. « On espère donner un bon spectacle aux fans et contribuer à l'essor du hockey », dit-il, à propos du match de samedi soir.

Ouf ! On est loin de la passion de l'époque, lorsque ces duels baignaient dans une ambiance de lutte idéologique entre deux systèmes politiques et économiques. Le mystère était aussi de la partie : quelle surprise les Soviétiques nous réserveraient-ils ?

En 1972, ils ont exploité la naïveté canadienne en débarquant à Montréal en vue du premier match de la Série du siècle : « Nous sommes venus pour apprendre », ont-ils dit. Si un pays a ensuite tiré des leçons de cet affrontement, c'est pourtant le nôtre. Le Canada a remporté de justesse ce duel, mais a compris qu'il ne trônait plus seul au sommet de la hiérarchie du hockey.

Au fil des années suivantes, d'autres matchs mémorables ont opposé le Canada et l'URSS. À chaque occasion, on a senti une énergie spéciale avant la première mise au jeu. L'impact de ces rencontres allait au-delà du simple affrontement sportif. La fierté nationale était en jeu. Mais depuis l'éclatement de l'Union soviétique en 1991, les choses ont changé.

Aujourd'hui, les joueurs des deux pays sont coéquipiers ou rivaux au sein de la grande famille de la LNH. Ils font partie de la même Association des joueurs, ils sont mis en lock-out par Gary Bettman à intervalles réguliers. Défendre ensemble ses droits, ça crée des liens.

Quand ils enfilent leur maillot national, ils demeurent évidemment fiers de porter les couleurs de leur pays. Mais ils n'oublient pas qu'ils se retrouveront bientôt dans les camps d'entraînement de la LNH.

Samedi soir, Sidney Crosby affrontera Evgeni Malkin, Andrei Markov tentera d'embêter Carey Price, Nikita Kucherov voudra faire mieux que Steven Stamkos. Dans une semaine, ces duos défendront les couleurs des Penguins, du Canadien et du Lightning. Le hockey est sans doute le seul sport où la Coupe du monde regroupe des joueurs faisant presque tous partie de la même ligue professionnelle. Ce n'est pas le cas au soccer, par exemple.

Tout en reconnaissant que l'ambiance serait « électrique » au Air Canada Centre, Carey Price parlait, hier, d'un match « comme un autre » en évoquant cette demi-finale de la Coupe du monde. Bien sûr, son approche fait partie de sa préparation psychologique. Il serait contre-productif d'augmenter inutilement la tension, de « trop compliquer les choses », comme il l'a mentionné.

En revanche, aucun joueur des années 70 et 80 n'aurait été capable de dire cela avant un affrontement entre les deux grands rivaux. Pour eux, et pour tous les Canadiens, le contexte sociopolitique conférait à ces matchs un caractère exceptionnel.

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Mike Babcock était un garçon de 9 ans vivant au Manitoba durant la Série du siècle de 1972.

« Je me souviens que c'était une grosse affaire pour le Canada, dit l'entraîneur de l'équipe canadienne. Mes professeurs étaient très excités quand nous avons gagné ! En fait, nous l'étions tous. Mais le hockey a beaucoup changé depuis ce temps, c'est le jour et la nuit. C'est plus rapide, plus dur, plus organisé. Cela dit, quand la Russie affronte le Canada, ça demeure une grosse affaire. Ils veulent avoir du succès, nous voulons avoir du succès. Et les joueurs d'une seule équipe quitteront l'amphithéâtre heureux après le match. »

C'est vrai. Mais au-delà d'une vive déception, les conséquences d'un revers ne seront pas catastrophiques pour les perdants. On n'assistera pas à une période de remise en question comme celle qu'amorcent les États-Unis, ébranlés par leurs mauvaises performances des derniers jours. 

Les Russes sont les négligés et jouent « à l'extérieur ». Quant au Canada, personne ne mettra en doute les choix des dirigeants de l'équipe en cas de défaite contre une si solide formation. Dans un seul match, comme dit le cliché, tout est possible.

Une autre raison explique pourquoi l'enjeu n'atteint pas celui des rendez-vous passés. Ce tournoi ne s'inscrit pas dans une perspective historique qui donne leur sens aux grandes compétitions sportives. Et puisqu'on ignore si l'aventure se poursuivra au-delà de cette première édition, il est difficile d'y voir le coup d'envoi d'un projet significatif à long terme.

Chose sûre, Connor McDavid a donné un dur coup au retour d'Équipe Amérique du Nord, composée des vedettes canadiennes et américaines de 23 ans et moins. Ce groupe a enflammé les imaginations avec sa rapidité et son talent. Mais la star des Oilers d'Edmonton a annoncé ses couleurs : si une nouvelle Coupe du monde est tenue en 2020, il veut s'aligner avec le Canada, peu importe son âge.

« Je n'ai pas grandi en rêvant de représenter Équipe Amérique du Nord à deux reprises et je suis sûr qu'Auston [Matthews] et Jack [Eichel] diraient la même chose », a-t-il dit, en parlant des deux jeunes stars américaines.

L'opinion de McDavid sera prise en compte, puisque l'Association des joueurs participe à l'organisation du tournoi. On peut aussi croire que USA Hockey ne permettra plus à ses vedettes de demain d'endosser un autre chandail que celui de la sélection nationale. Le prix à payer a été trop grand.

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Le monde a changé, la rivalité Canada-Russie aussi. Mais un bon match de hockey demeure un bon match de hockey ! Alors si vous n'avez qu'une seule rencontre de la Coupe du monde à regarder, celle de samedi soir est le bon choix. Ne serait-ce qu'en raison de tout le talent sur la patinoire.

Au fond, Harijs Vitolinsh, qui est Letton, a raison : souhaitons-nous un bon spectacle. Ce sera déjà pas mal.

Photo Gene J. Puskar, archives Associated Press

Coéquipiers au sein des Penguins de Pittsburgh, le Canadien Sidney Crosby et le Russe Evgeni Malkin se trouveront dans une drôle de position samedi soir, face à face en demi-finale de la Coupe du monde.