Vous n'en parlerez pas?

J'en ai déjà parlé.

Mais vous n'avez rien dit!

Si! J'ai dit que j'étais fasciné par le conflit lui-même, mais pas très mobilisé par son objet: l'augmentation des droits de scolarité.

Qu'est-ce qui vous fascine dans ce conflit si ce n'est pas son objet?

Son déroulement même, sa dynamique. Son effet loupe sur la société, on voit bien la séparation, d'un côté les indécrottables romantiques dont je suis avec Mme Ouimet, de l'autre les pragmatiques, les modernes, les élites, les lucides qui savent ce qui est bon pour nous.

Comment trouvez-vous les étudiants?

Incroyablement matures, intelligents, bons communicateurs.

Mais la violence?

Laquelle? Celle des casseurs ou son instrumentalisation, sa «moralisation», l'inacceptable provocation du pouvoir politique qui en rend responsables une majorité d'étudiants alors qu'ils en sont les premières victimes. Victimes de la violence de la police et victimes de la violence des casseurs.

En fait, je les trouve très disciplinés. Et inventifs. Et inspirés. Assez magnifiques. Pas seulement les leaders. Je pense à ceux-là qui écrivent dans Fermaille des carnets sur le long, nés de la grève, cet espace où nous sommes ce que nous avons à faire, disent-ils, et dans lesquels sont publiés des textes qui font voler en éclats la grisouille de notre printemps froid.

Il était une fois, pardon, ils étaient une fois des milliers de petits chaperons rouges qui ne sortaient pas d'un conte et qui n'avaient pas peur du loup, écrit à peu près Jessica Guillemette dans Fermaille justement.

Et en même temps, ils me font chier. Allez y comprendre quelque chose. Ils ont eu beau m'expliquer qu'il s'agit de bien plus que d'une affaire de sous, qu'ils défendent une plus grande accessibilité, que l'enjeu réel est une université publique (comme dans république), plutôt qu'un creuset où se reproduisent les élites. Ils ont eu beau m'expliquer tout ça, je prends acte qu'ils sont descendus dans la rue pour une histoire de sous. Et de sous pas si gros que ça.

J'ai le sentiment que si le gouvernement leur disait O.K., pas de hausse des droits de scolarité, on va juste demander aux grandes entreprises de subventionner un peu plus les campus, j'ai le sentiment que les étudiants diraient yé, on a gagné. Alors qu'ils auraient perdu. Qu'ils ont déjà perdu, en fait. Que nous avons tous perdu depuis longtemps.

Bref, vous n'irez pas les rejoindre dans la rue, M. le chroniqueur?

Vous voulez dire avec une pancarte? J'attendrai que le combat porte sur l'intégrité, la liberté académiques. J'attendrai qu'ils lisent le petit essai intitulé Je ne suis pas une PME que vient de sortir Normand Baillargeon, prof à la faculté des sciences de l'éducation de l'UQAM. J'attendrai que le combat porte sur l'intégrité académique qui est très liée à la dimension critique de l'enseignement. Je crois qu'il n'y a pas de plus grand enjeu actuellement pour l'enseignement supérieur que cette distance critique.

Vous disiez, tantôt, que les lucides savent ce qui est bon pour nous. Si on demandait drette là, à M. Charest, de quoi ont le plus urgemment besoin les Québécois?

Je ne crois pas qu'il dirait comme M. Baillargeon dans son essai: de distance critique! Comme vous le savez, M. Charest a la tête au Nord depuis de nombreux mois. Je crois qu'il répondrait que ce dont les Québécois ont le plus besoin drette là, c'est d'or, d'argent, de nickel, d'uranium, de mercure, de strontium, de cobalt, de zinc, de cuivre, de platine, de potassium, de rubidium, de chrome, d'étain, de strontium, de radium, de tungstène, de pétrole...

Et pour vous, monsieur le chroniqueur?

Pour moi? Ce dont les Québécois ont le plus besoin, drette là? Un peu de chaleur. Croiriez-vous qu'on est en mai ou presque et qu'il neige à ma fenêtre tandis que je vous écris? Des bourrasques de flocons qui fondent avant de toucher un gazon déjà haut, qu'il faudrait tondre. Passer la tondeuse sous la neige? Ô Canada. Jeudi, j'ai pédalé sous une pluie froide que le vent me rabattait dans le visage, j'ai appelé ma fiancée: viens me chercher, fiancée.

Où t'es?

Sur le chemin Boulais. Dans une porcherie.

Dans la porcherie? Avec les cochons?

Oui. Tu me reconnaîtras, j'ai des lunettes.

ÉLECTION FRANÇAISE Quand on regarde les résultats du premier tour de l'élection présidentielle française, on voit bien que Marine Le Pen sera en quelque sorte l'arbitre du second tour. Un Français sur cinq et demi a voté pour la honte. Selon que ce Français-là votera pour Hollande ou Sarkozy ou s'abstiendra ou annulera son vote, il fera gagner Hollande ou Sarkozy.

Si j'étais Hollande ou Sarkozy, je dirais à ce Français-là: s'il te plaît, mon ami, ne vote pas pour moi. J'aime mieux perdre.

REMERCIEMENTS Merci aux nombreux lecteurs qui ont eu la gentillesse - ou serait-ce de la charité? - de me prêter d'avoir fait exprès une énorme faute dans cette même chronique où je reproche à une prof de ne pas savoir conjuguer le verbe avoir. J'ai osé cela à avoir au lieu de cela a à voir. Non, ce n'est pas voulu. Je l'ai échappée. Et je vois ici, dans l'original de ma chronique de l'autre samedi, que j'avais écrit Baudelaire, avec un e, oui, madame, Beaudelaire. Merci aux correcteurs de La Presse de me sauver le cul chaque fois... enfin presque chaque fois.

C'était surtout pour vous dire que je pourrais être prof au secondaire n'importe quand.