Depuis le début de cette grève, quand le gouvernement leur demandait: qui va payer, si ce n'est pas vous? les étudiants répondaient: les universités. Les universités? Mais oui, expliquaient les étudiants. En remettant de l'ordre dans leurs finances toutes croches, «en optimisant leurs ressources financières», pour dire les choses sans froisser les recteurs, les universités récupéreraient X millions qui seraient redistribués aux étudiants. Et voilà! Le chiffre avancé tourne autour de 200 millions, mais gardons-nous des détails puisque le diable y est, comme chacun se plaît maintenant à régurgiter ce cliché qui commence à me tomber sur les rognons. D'autant plus qu'ici, le diable n'est pas du tout dans les détails, il est dans l'esprit même de l'entente. J'y reviens plus loin.

Très bien, a fini par dire le gouvernement - c'était vendredi passé -, voyons la faisabilité de la chose. Vingt-deux heures de discussion plus tard, il est parvenu à une entente de principe avec les étudiants.

De cette entente, on retenait que la hausse des droits de scolarité était maintenue dans son intégralité mais que le gouvernement s'engageait à vérifier dans quelle mesure les ressources financières des universités pourraient être effectivement revues et corrigées.

Il fut décidé que serait créé un Conseil provisoire des universités (CPU), chargé de suggérer à la ministre les optimisations possibles. Autour de 200 millions d'optimisations possibles.

Vingt-deux heures plus tard, donc, tout le monde était content, mais ça n'a pas duré longtemps.

Pour revenir au diable, il est ici, disais-je, au coeur même de la raison de cette entente. Une raison à laquelle le gouvernement n'a jamais cru. Personne dans ce gouvernement n'a jamais cru qu'il était possible d'aller chercher 200 millions dans les coffres des universités.

Pourquoi alors avoir relancé les négociations en faisant semblant d'y croire?

Pourquoi?

1) C'était le moyen de sortir de la crise;

2) Sortir de la crise en plein conseil général du PLQ, ce qui tombait drôlement bien pour le moral des troupes et pour celui de leur chef;

3) Tout cela à risque nul, ces petits cons d'étudiants - que le diable les emporte -, seraient rentrés en classe depuis longtemps quand on leur ferait valoir qu'il n'y a pas moyen d'aller chercher 200 millions dans les coffres des universités.

Il n'y avait pas deux heures que l'entente était signée qu'il apparaissait que, en fait d'entente, on ne s'entendait sur rien. Les étudiants avaient compris que, jusqu'au dépôt du rapport du Conseil provisoire, ils recevraient en remboursement des frais afférents l'équivalent de la hausse des droits de scolarité. Une sorte de moratoire, donc, et on sait comment le mot moratoire donne des boutons à la ministre de l'Éducation.

Les étudiants ont compris une optimisation globale, une somme globale à diviser par le nombre total d'étudiants. Le gouvernement pense université par université, des remboursements de frais différents selon chaque université.

Anyway, tout ça, c'est du vent.

Le vrai différend, le noeud de l'affaire, est dans ce qu'entendent les deux parties par optimisation des ressources financières des universités.

Le gouvernement entend des économies de bouts de crayon. Et bien sûr ne voit pas comment on peut économiser 200 millions en bouts de crayon.

Les étudiants entendent une réforme du fonctionnement même des universités. Les étudiants remettent en question le clientélisme, les liens de l'université avec les entreprises, avec le monde des affaires, remettent en question l'université qui se perçoit elle-même comme une entreprise et se lance par exemple dans l'immobilier.

Samedi, en conférence de presse, commentant l'entente, M. Charest se pourléchait les babines comme Grippeminaud, le chat d'une fable de La Fontaine: Grippeminaud le bon apôtre leur dit, approchez mes enfants... et jetant la griffe des deux côtés en même temps croqua l'un et l'autre. On verra bien, ronronnait-il, ce qu'il sera possible de sabrer dans les universités. Mais soudain, inquiet: il ne faudrait pas, par exemple, toucher à la recherche...

On s'est extasié maintes fois sur l'intelligence des leaders étudiants. Si vous voulez mon avis, intelligent, M. Charest l'est autant que les trois en même temps. Et il ajoute à cette triple dose d'intelligence un zeste de malignité ratoureuse, comme lorsqu'il laisse entendre qu'il ne faudrait tout de même pas aller jusqu'à faire des coupes dans la recherche. Ce disant, il avait pris un petit air douloureux, comme s'il avait déjà mal, par avance, à sa recherche coupée...

Rassurez-vous, monsieur le premier ministre, l'entreprise privée qui subventionne très largement la recherche universitaire n'a pas du tout intérêt à faire des coupes dans cette recherche tout bénéfice pour elle, une recherche dont elle détermine souvent l'objet et parfois même les résultats. Voyez par exemple le lobby de l'amiante à McGill. C'est la recherche fondamentale qui est en danger. Vous savez, ces pelleteux de nuages qui ne savent même pas ce qu'ils cherchent. Il n'y a absolument plus rien à couper chez ceux-là, leurs ailes le sont depuis un bon moment déjà.

Bref, je ne suis pas le premier à le dire: les étudiants se sont fait fourrer. Il est trop tard maintenant pour relancer en grand la machine à manifester. Alors? Rentrer la queue basse?

Parlant de queue, j'ai une idée qui me vient d'une manif à laquelle j'ai participé jeudi dernier et qui rassemblait quelques centaines de marcheurs tout nus ou presque. Pourquoi tout nus? ai-je demandé à une jeune fille en train de se peinturlurer les seins. Parce que, me répondit-elle avec un bel à-propos, tant qu'à se faire fourrer, aussi bien se mettre tout nu. Même qu'elle a dit «toute nuse».

Ma suggestion, donc: mettez fin à votre grève, rentrez dans vos classes, mais rentrez tout nus et toutes nuses. On accourra du monde entier pour vous appuyer.