Et pourquoi pas un blogue hassidique? L'idée a germé entre les papillotes de Cheskie Weiss, un juif hassidique d'Outremont. Moi qui pensais que les hassidim devaient fuir l'internet comme la peste, j'ai vite compris en lui parlant que j'avais tout faux.

«Je ne connais pas un seul juif hassidique qui n'ait pas accès à l'internet, que ce soit sur son téléphone intelligent ou au travail. Même à la synagogue! Nous ne sommes pas coupés du monde!» me dit Cheskie, en souriant. L'internet, tout comme la télévision, n'est pas encouragé comme une forme de loisir dans la communauté. Ce qui ne veut pas dire que l'on y ignore tout de YouTube ou de Facebook.

Originaire de New York, Cheskie Weiss est designer web et père de six enfants. Depuis peu, il est donc aussi blogueur dans ses rares temps libres. Une initiative originale qui, espère-t-il, permettra à la communauté hassidique d'Outremont d'entamer un dialogue essentiel avec ses voisins et de dissiper des mythes nourris de part et d'autre.

Cheskie me raconte que lui et un ami ont eu l'idée au lendemain de la fête de Pourim, le 8 mars dernier. Cette fête, qui est un peu l'Halloween de la communauté juive, a été entachée par un incident déplorable. La conseillère indépendante Céline Forget a été prise à partie dans la rue par un groupe de hassidim alors qu'elle était en train de vérifier si les règlements municipaux étaient respectés. Elle a été insultée et intimidée par des résidants juifs ultra-orthodoxes qui lui reprochent de les harceler depuis des années, appareil photo à la main.

Cet incident, Cheskie le condamne. Voilà 60 ans que la communauté hassidique vit paisiblement à Outremont. C'est la première fois qu'une telle chose se produit. Une fois de trop.

L'incident cristallise une tension. Une tension nourrie par des blogues où l'on fait constamment le procès de la communauté hassidique, l'accusant de ne pas respecter les lois communes avec la bénédiction de l'administration municipale.

Y a-t-il un fond de vérité dans ces accusations? «Il y a peut-être déjà eu du laxisme. Mais il n'y en a plus», me dit la mairesse d'Outremont, Marie Cinq-Mars. Aujourd'hui, ce qui nuit le plus au climat de bonne entente, c'est une fausse perception, alimentée avec acharnement par quelques-uns.

Quiconque est suivi et photographié jour et nuit va inévitablement finir par contrevenir à un règlement municipal, que ce soit pour avoir stationné en double ou autre chose. L'acharnement crée un effet de distorsion. Même si la perception s'en trouve faussée, la tension qu'elle crée est bien réelle. À Outremont, cette tension est telle qu'elle a poussé la mairesse à interdire toute manifestation jusqu'au 1er juin. Un moratoire absurde qui, pour la première fois en 60 ans, a forcé l'annulation d'une procession de nuit de la communauté hassidique prévue samedi dernier. Pour la première fois aussi, la procession de Pâques de la communauté russe orthodoxe de Saint-Nicolas n'a pu avoir lieu. Idem pour une marche pour l'Alzheimer.

Officiellement, ce moratoire doit permettre de revoir le règlement et d'assurer la tranquillité des citoyens. Dans les faits, c'est une décision indigne d'une ville cosmopolite où les défilés de toutes sortes font partie de la vie. Il est sans doute plus facile d'exiger un moratoire sur les défilés qu'un moratoire sur le harcèlement ou les fausses perceptions.

C'est là que le blogue créé par des hassidim d'Outremont devient intéressant. «Comme on nous fait la guerre sur l'internet, je me suis dit que l'on devait aussi y montrer l'autre versant de l'histoire», dit Cheskie. Il croit que les hassidim doivent apprendre à mieux expliquer qui ils sont vraiment.

Le blogue s'appelle Outremont Hassid (outremonthassid.com). Cheskie a déjà une longue liste de sujets qu'il veut y aborder. Ce qui lui manque, c'est du temps. Il ne nie pas le fait qu'il puisse y avoir des différends au sujet du stationnement, du bruit ou du trafic. Mais il aimerait que l'on en parle comme on le ferait avec de simples voisins plutôt que de considérer les hassidim comme des «étrangers malicieux».

Il aimerait écrire sur le mythe selon lequel sa communauté vit dans une bulle. Il me parle de l'équilibre très précaire entre le désir d'être distinct et le respect de ses voisins. La plupart des gens y arrivent, dit-il. Mais une minorité n'a pas les compétences sociales requises pour le faire. Il faudra y travailler.

Autre sujet auquel Cheskie veut s'attaquer: le mythe selon lequel sa communauté ne veut rien savoir du français. «Plein de gens dans la communauté parlent français!» Il m'invite à aller discuter avec Hirsh Teitelbaum, un juif hassidique de 36 ans, qui était justement en train de travailler dans le bureau adjacent.

New-Yorkais d'origine lui aussi, Hirsh est arrivé à Montréal il y a 15 ans. Il travaille dans l'immobilier. Il parle français avec un accent québécois. Son travail l'a amené à côtoyer des gens qui n'ont jamais vu un juif hassidique de leur vie. Il est habitué à ce qu'on le dévisage. Mais dès qu'il ouvre la bouche, les barrières tombent. Très vite, les gens se mettent à le bombarder de questions. Sur ses papillotes, sur les interdits, sur son mode de vie... «Je leur dis: OK! La première demi-heure, c'est gratuit!» Il rit.

J'ai moi-même profité de ma demi-heure gratuite. On a parlé des fameuses papillotes, mais aussi des tensions à Outremont, de la nécessité de promouvoir une cohabitation plus harmonieuse, de la brèche intéressante que peut créer un blogue. «Ce n'est pas facile de changer les perceptions, mais je reste optimiste».

Je l'ai remercié pour ma demi-heure de consultation. Il a souri. «Il vous reste un crédit de 10 minutes!»