Lundi, autour de minuit, une dame de 67 ans traversait le boulevard Saint-Laurent. Un homme s'est jeté sur elle, et l'a sauvagement rouée de coups. La dame rentrait chez elle. Au lieu, elle est entrée au ciel.

Un geste complètement gratuit commis par un bum, probablement intoxiqué par l'alcool et la drogue. En pleine rue principale de Montréal, sur la Main.

Montréal a longtemps été une ville innocente et heureuse. On s'y promenait la tête en l'air. Ce n'est plus le cas. Montréal commence à faire peur. On y marche la tête baissée en se mêlant de ses affaires.

On s'y sent de moins en moins en sécurité. Bien sûr, les policiers ne peuvent pas être partout, mais encore faut-il qu'ils soient affectés aux bons endroits. Un citoyen a reçu un constat d'infraction de 147$ pour s'être promené sur la pelouse du parc Serge-Garant, derrière la station de métro Beaudry. C'est important de protéger le gazon, mais c'est plus important de protéger les gens. Si l'on a assez de personnel pour sauver les brins d'herbe, on devrait en avoir assez pour sauver les civils qui se promènent sur les boulevards éclairés de néons.

Avis aux candidats à la mairie: un policier n'est pas un percepteur d'impôt. Il n'est pas là pour faire entrer du cash dans les coffres de l'État. Il est là, avant tout, pour que nous puissions vivre en paix. Je sais, ça coûte cher. Mais au lieu de mettre 3% de l'argent des contrats dans vos poches, mettez-le donc pour payer plus d'agents, au sortir des bars, ce serait déjà ça.

Les rues, ce sont les artères qui alimentent le coeur d'une ville. L'endroit où les destins se croisent, dans un implacable ballet. La façon de partager cet espace est révélatrice d'une société. Je nous trouve, de plus en plus, agressifs, intolérants, tout le temps en sacrament. On n'en vient pas toujours aux poings, mais on sent une tension latente entre nous. Une sensibilité irascible qui n'était pas là, avant. Au temps des fleurs dans les cheveux et de la Terre des hommes.

Est-ce les travaux routiers qui ne se terminent jamais, les scandales de corruption à répétition ou la disette de 20 ans sans Coupe Stanley du Canadien, qui nous minent le moral? Toujours est-il que le Montréalais est en train de perdre la caractéristique qui fait sa réputation mondiale: sa joie de vivre. Montréal s'en vient stressé. Montréal s'en vient dur. Montréal se démontréalise.

Demandez aux vedettes de tennis qui font escale, chez nous, pour la Coupe Rogers, ce qu'elles préfèrent quand elles sont ici. Elles vous répondront tous: la gentillesse des gens. Nous ne sommes pas les plus riches, les plus beaux, les plus puissants de la planète, mais nous sommes parmi les plus fins. C'est tout à notre honneur. Mais cela devient de moins en moins vrai. On se klaxonne, on se tasse, on s'évite. La politesse de la rue n'existe plus.

Une jeune mère de famille revient des urgences avec son enfant. Elle monte dans l'autobus 108 de la STM. Elle doit payer 3$. Elle a un cinq-piastres en papier. Le chauffeur n'accepte pas les billets de banque. Ça prend une carte ou de la monnaie. La maman ne le savait pas. Le chauffeur fait venir les inspecteurs qui collent à la femme une contravention de 219$. Ben voyons, ce n'est pas ça, Montréal! Les gens ne sont pas censés être bornés à Montréal. La crise économique est-elle en train de nous rendre épais?

Avons-nous perdu toute humanité dans nos rapports? C'est la course aux tickets. On met à l'amende tout ce qui bouge, les automobilistes, les cyclistes, les piétons, les chiens, les chats, pour des banalités. Les gens paisibles ne sont pas des menaces pour cette ville. Il faut protéger les citoyens des violents de la nuit, pas des rêveurs dans les parcs. Un peu de bon sens, svp.

C'est bien beau la bouffe de rue. Ça rend plus agréables nos déplacements dans la cité. Mais ce que la rue manque le plus, c'est de coeur. De contacts. Prendre soin des sans-abri. Être attentifs aux passants. Chacun est trop isolé dans son monde. Et ce monde est ailleurs, à l'autre bout de son cellulaire. Les gens dans la rue ne se voient plus. Ils voient leurs textos. Ils voient leur Skype. Mais pas les personnes autour d'eux.

Il faut que la musique et le rire ne disparaissent pas de la métropole, aussitôt leurs festivals terminés. Il faut que l'esprit de la fête ne soit pas cantonné à un emplacement précis, deux mois par année. Il faut redonner un sourire à toute la ville, en tout temps et en tout lieu.

Et cette fois, ça ne dépend pas seulement des politiciens. Ça dépend surtout de nous. C'est à nous d'être moins habités par la rage du volant, du guidon ou de la sandale. C'est à nous à redonner à la ville son côté latin, mélangé, beau dommage. Un Paris avec des gens cool. Un petit coin de paradis.

La rue qui vit.