AVERTISSEMENT: La chronique que vous vous apprêtez à lire comporte des passages troublants qui pourraient ne pas convenir aux gens qui aiment se mettre la tête dans le sable. L'auteure préfère vous en avertir.

Il y a un déficit fantôme de 57 milliards de dollars qui plane au-dessus du Québec. Il vient du régime de retraite des employés de la fonction publique et parapublique, uniquement de la portion dont le gouvernement est responsable, car les employés assument la moitié des coûts dans la plupart des régimes.

Malgré son ampleur, ce déficit fantôme est très difficile à percevoir. Si vous demandez à la Commission administrative des régimes de retraite et d'assurances (CARRA) qui administre les régimes, on vous répondra qu'il n'y en a pas.

Il est vrai que Québec n'est pas tenu de mettre de l'argent de côté pour financer la retraite de ses employés. Pas d'obligation, donc pas de déficit. OK, d'accord. Mais c'est une simple question de vocabulaire.

Posons la question autrement: combien va coûter la retraite des fonctionnaires de l'État aux contribuables dans le futur? Aurons-nous l'argent pour faire face à ces engagements?

Pour trouver les réponses, il faut fouiller dans les comptes publics du gouvernement.

Tout d'abord, la valeur des promesses de rentes faites par Québec à tous ses employés s'établit à 87,6 milliards au 31 mars 2013. C'est le passif des régimes de retraite (la portion assumée par Québec seulement).

Même s'il n'est pas obligé, Québec a accumulé 40,8 milliards dans le Fonds d'amortissement des régimes de retraite (FARR) pour financer les retraites de ses employés.

En réalité, le gouvernement emprunte pour cotiser au FARR. L'idée est d'obtenir un rendement supérieur au coût d'emprunt en investissant l'argent à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Mais ça, c'est une autre histoire...

Ajoutez au magot du FARR les actifs contenus dans certains régimes de retraite, surtout celui de l'Université du Québec, et vous obtiendrez la valeur totale des actifs destinés à payer les rentes des employés. On parle de 44,5 milliards.

La différence entre le passif et l'actif révèle donc un «déficit» de 43,1 milliards, même si on ne l'appelle pas comme ça officiellement.

Fait étonnant: Québec comptabilise seulement une partie de ce déficit dans ses états financiers. Sur 43,1 milliards, à peine 28,4 milliards sont transférés à la dette du gouvernement.

Pouf! Entre la page 83 et la page 124 des comptes publics, 14,7 milliards sont disparus. C'est la magie des normes comptables. (Désolée, ce truc ne marche pas pour faire disparaître votre hypothèque.)

Mais ce n'est pas tout. Pour établir la valeur actuelle de ses engagements futurs, Québec utilise un taux d'actualisation d'environ 6,6%, révèlent aussi les comptes publics.

Or, ce taux est plus élevé que celui proposé dans le rapport D'Amours, en avril dernier. Le comité d'experts mandaté par Québec recommandait aux régimes de retraite d'utiliser un taux de l'ordre de 5% pour «se rapprocher de la vérité des coûts».

Il sera intéressant, donc, de voir quel taux le ministre des Finances, Nicolas Marceau, utilisera dans sa prochaine mise à jour. Tout changement d'hypothèse est lourd de conséquences pour le Trésor public.

En utilisant un taux plus réaliste de 5%, le «déficit» de Québec gonflerait de 43,1 à 56,8 milliards. Un bond de 13,7 milliards.

Bah! pourquoi diable se casser la tête avec des concepts aussi abstraits? Après tout, il s'agit d'une dette virtuelle fondée sur des hypothèses malléables, me dites-vous. Il est bien plus simple de balayer discrètement les 56,8 milliards sous le tapis.

Mais ne vous faites pas d'illusions. Cette dette n'est pas que théorique. Tôt ou tard, il faudra envoyer des chèques aux retraités de l'État. Et la facture ira grandissant.

Combien Québec verse à ses retraités, année après année? Et jusqu'à quel point ces débours vont-ils augmenter dans l'avenir?

De leur côté, les employés ont encaissé des hausses importantes de leur taux de cotisation depuis 10 ans. Pour le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP), la cotisation atteindra 12,75%, comparativement à seulement 5,35% en 2004. Toute une différence.

Les coûts augmentent aussi pour Québec, qui assume la moitié de la facture. Les dépenses annuelles au titre des régimes de retraite ont grimpé de 1,99 milliard à 2,51 milliards en cinq ans. Une hausse de plus d'un demi-milliard.

Comprenez-moi bien. Je ne suis pas en train de dire que les retraites sont en péril ou qu'il faudrait sabrer les régimes de la fonction publique. Pas du tout.

Mais d'un autre côté, les contribuables qui paient la moitié de la note ont le droit d'avoir l'heure juste.

Un demi-milliard de plus ou de moins, ce n'est pas banal. Juste pour mettre les choses en perspective, la taxe santé qui a tant fait rugir permettait de ramasser environ 1 milliard par année.

On a abondamment parlé du déficit des régimes de retraite des municipalités et des entreprises. Le rapport D'Amours a proposé une série de solutions pour sauver les régimes de retraite. Mais pas un mot sur les fonctionnaires de Québec. Ce n'était pas dans son mandat.

Il serait temps de jeter un coup d'oeil là-dessus.

N.B.: Cette chronique a été réalisée avec l'appui en expertise de Jacques Gagné et Robert Poirier, chercheurs invités au Centre de recherche sur la gouvernance de l'ENAP.