Lorsqu'il est question de l'Alberta, on parle beaucoup de chiffres et de fiscalité: 0$ de dette publique, taux d'imposition unique de 10% pour tous les contribuables, 0% de taxe de vente provinciale...

Ces chiffres expliquent en gros ce que le gouvernement conservateur appelle ici «l'avantage albertain», mais ils ne disent pas tout. Il faut aussi regarder du côté de la démographie pour avoir un portrait plus complet de cette province riche qui carbure (c'est le cas de le dire) à fond la caisse ces temps-ci.

Au cours de la dernière décennie, un million de personnes sont venues s'installer en Alberta et un autre million devraient s'ajouter au cours des 10 prochaines années.

Aucune province ne s'approche d'une telle croissance démographique. De 2006 à 2011, la population a augmenté de 3,2 à 3,6 millions, une hausse de 11%, soit le double de la moyenne nationale. La ville de Calgary, à elle seule, a gagné 130 000 nouveaux habitants en cinq ans, une augmentation de 12,5%.

Une telle explosion démographique pose des problèmes d'infrastructures et provoque une flambée des prix des maisons. À Calgary, le prix moyen d'une maison est d'environ 450 000$ (selon diverses sources), alors que la moyenne canadienne se situe à environ 320 000$. Les nouveaux Calgariens à qui j'ai parlé au cours des derniers jours et qui ont acheté une propriété récemment ont plutôt déboursé autour de 500 000$ pour une maison unifamiliale en ville ou un bungalow en proche banlieue.

Le voyageur de passage à Calgary comprend vite qu'il est dans un marché particulier en cherchant à se loger. La semaine dernière, aucun hôtel des grandes chaînes (Sheraton, Delta, Hyatt, Marriott, etc.) du centre-ville n'avait de chambres à moins de 330$ la nuit! Ces prix baissent presque de moitié la... fin de semaine, puisque les voyageurs d'affaires désertent la ville.

Albertains d'adoption

Revenons à la démographie. Si les prévisions sont exactes, il y aura 4,6 millions d'Albertains en 2020, soit 2 millions de plus qu'au début du millénaire. La population aura donc presque doublé en deux décennies.

Certains observateurs avancent que ce grand nombre d'Albertains d'adoption expliquerait peut-être un autre chiffre surprenant: 41%, le très faible taux de participation aux dernières élections provinciales. La plupart des nouveaux arrivants ne seraient en Alberta que pour le travail, pour le fric, et ils ne s'identifient pas à leur province d'adoption.

D'autres, par contre, pensent que ce flot de nouveaux Albertains pourraient expliquer la montée d'un nouveau parti plus à droite, comme le Wildrose, qui promet moins de dépenses publiques, plus d'argent dans les poches des contribuables et qui prône un développement accéléré des ressources naturelles, donc de nouveaux emplois et une croissance soutenue.

Le Wildrose s'engage aussi à verser des «dividendes énergétiques» à tous les Albertains (travailleurs, retraités, enfants), un chèque (300$ dès 2015 et qui augmenterait progressivement chaque année) à chaque personne tiré des profits du pétrole. Cette approche très business a de quoi séduire les «immigrants économiques» fraîchement débarqués en Alberta. D'autant plus que la vie est chère ici.

Les parents de jeunes enfants à qui j'ai parlé m'ont dit payer entre 800$ et 1200$ par mois par enfant pour la garderie. Pour deux enfants, cela fait entre 1600$ et 2400$ par mois. Évidemment, ils récupèrent une partie de ces frais à la fin de l'année financière, mais ça fait tout de même de jolis déboursés mensuels.

Test en santé

Société distincte (elle aussi!) à bien des égards, l'Alberta pourrait, sous un gouvernement du Wildrose, enclencher une autre révolution, sur le front de la santé cette fois.

Vache sacrée dans ce pays, le «medicare» (assurance maladie) pourrait connaître un bouleversement en Alberta. Ce ne serait pas la première fois, d'ailleurs. Le gouvernement de Ralph Klein, notamment, a plusieurs fois contesté la loi canadienne sur la santé en désassurant certains soins ou en ouvrant la porte au privé.

Le Wildrose, s'il est élu, promet que les gens recevront les traitements nécessaires dans des délais prévus, au-delà desquels ils pourront se faire traiter au privé, en Alberta ou ailleurs, aux frais de la province. Le hic, c'est qu'il y aura un prix plafond et que les patients devront payer la différence de leur poche. Cela constitue une voie indirecte vers le privé, selon les autres partis albertains. Si c'est le cas, il faudrait qu'Ottawa intervienne, mais voilà, les partis de l'opposition à Ottawa soupçonnent le gouvernement Harper de vouloir ouvrir des brèches dans la loi canadienne sur la santé.

Observations en vrac

Les clichés tenaces dépeignent l'Alberta comme une terre de cowboys réactionnaires, mais cette province sera tout de même la deuxième, seulement, dans l'histoire du Canada à élire une femme première ministre (ce sera soit Alison Redford, soit Danielle Smith) après l'Île-du-Prince-Édouard, en 1993.

Par ailleurs, les habitants de Calgary ont élu un jeune maire musulman (Naheed Nenshi) en 2010.

Il faut croire qu'il reste un peu de progressistes chez les conservateurs.

Dans un tout autre département, celui du financement des partis politiques, l'Alberta accuse toutefois un certain retard.

Contrairement au Québec et au fédéral, l'Alberta autorise encore les dons d'entreprises et des syndicats, soit 15 000$ par année et 30 000$ en année électorale.

Quant au financement privé des courses à la direction des partis, c'est le Far West.