Malgré la déclaration regrettable du ministre Vic Toews («vous êtes avec nous ou avec les cyber-prédateurs»), il ne faut pas perdre de vue l'essentiel du débat sur le projet de loi C-30: doit-on permettre à la police et aux services de renseignements d'obtenir sans mandat judiciaire des informations personnelles auprès des fournisseurs de services internet?

Dans ce dossier, il faut se méfier de Big Brother tout en favorisant une police moderne et efficace. En ce sens, force est d'admettre que malgré la déclaration irresponsable de son ministre, le gouvernement Harper propose un projet de loi plus acceptable que celui présenté il y a un an alors que les conservateurs étaient minoritaires.

En 2011, le gouvernement Harper voulait permettre aux policiers d'obtenir sans mandat auprès des entreprises de télécoms onze informations personnelles différentes. L'idée a été vivement dénoncée par les commissaires à la vie privée de partout au pays. Cette fois-ci, le projet de loi C-30 limite les policiers sans mandat à obtenir six infos personnelles: nom, adresse postale, numéro de téléphone à domicile et sur cellulaire, courriel, adresse de protocole internet (adresse IP) et nom de l'entreprise de télécoms. Le ministre Toews fait valoir qu'il s'agit essentiellement d'une version du 21e siècle du bottin téléphonique, accessible depuis toujours aux policiers sans mandat.

Du groupe, l'adresse IP est l'info la plus éloignée du traditionnel bottin téléphonique - et aussi la plus utile pour les corps policiers. Actuellement, la police peut obtenir un mandat de surveillance d'un site web suspect et savoir quelles adresses IP le visitent. Avec C-30, elle pourrait identifier sans mandat les visiteurs en demandant à leur fournisseur internet qui se cache derrière ces adresses IP (actuellement, il faut un mandat pour faire identifier un internaute via son adresse IP). Avec C-30, si la police veut ensuite suivre les déplacements d'un visiteur, elle devra obtenir un autre mandat spécifique à cet effet. À première vue, ce n'est pas exactement une version cauchemardesque de Big Brother.

Le projet de loi contient d'autres mesures à la fois bénéfiques pour les corps policiers et respectueuses de la vie privée. Les demandes de mandat seront simplifiées et centralisées pour qu'un seul juge puisse mieux évaluer l'intrusion sur la vie privée d'un citoyen. Pour éviter que les données sur l'activité d'un citoyen soient détruites par inadvertance, les policiers demanderont à l'avance aux entreprises de télécoms de les conserver pendant au moins 21 jours en attendant d'obtenir un mandat d'un juge.

D'autres pays comme les États-Unis et la Grande-Bretagne autorisent déjà l'obtention de certaines infos personnelles sans mandat, mais plusieurs pays européens ne tolèrent pas cette pratique. Il n'y a pas si longtemps au Canada, en 2007, un politicien était fortement contre cette pratique: «Ça peut rendre certaines enquêtes plus difficiles, mais notre expectative au droit à la vie privée est telle que nous ne mettrons pas en place un (tel) système.» Sur ces sages paroles de Stockwell Day, que le débat commence!

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