Les médias de Quebecor sont en guerre. Depuis plusieurs mois, ils s'acharnent, en particulier, contre deux cibles: la famille Desmarais (propriétaire de La Presse) et Radio-Canada. Au sujet de cette dernière, on accumule les reportages tendant à démontrer qu'elle dilapide les fonds publics. On l'accuse aussi de ne pas annoncer dans les publications de Quebecor, comme s'il s'agissait d'un crime.

Usant de la même méthode, on multiplie les textes tendancieux au sujet des activités des patrons de Power Corporation. La plus récente controverse porte sur la fin de semaine qu'a passée le président de la Caisse de dépôt, Michael Sabia, au domaine des Desmarais à Sagard, dans Charlevoix. Les partis d'opposition ont pris le relais. «Faire des affaires, ça se passe normalement dans un bureau, pas dans le spa des Desmarais», a lancé le député péquiste Nicolas Marceau. Que le porte-parole de l'Opposition officielle en matière de développement économique en sache si peu sur le monde des affaires est sidérant. Comme la politique, le domaine des affaires est éminemment social. Les gens se rencontrent dans les bureaux, bien sûr, mais aussi dans les soirées, sur les terrains de golf, en marge de conférences, lors de campagnes de financement pour des organismes de bienfaisance, etc.

Il serait inquiétant que M. Sabia, qui dirige l'une des institutions financières les plus importantes du Québec, n'entretienne pas de rapports suivis avec les gens d'affaires de premier plan de la province. D'autant que, dans ce cas-ci, la Caisse est depuis longtemps un important actionnaire de Power Corporation (à hauteur de 187 millions à la fin de 2010).

Dans tout ce qui a été dit à ce sujet au cours des derniers jours, absolument rien n'indique que Power Corporation ait obtenu des avantages de la Caisse. Avant de laisser planer des soupçons, il faut tout de même s'appuyer sur un minimum de faits. Ici, il n'y a rien.

Cependant, diront certains, les serviteurs de l'État doivent éviter non seulement les conflits d'intérêts, mais les apparences de conflits d'intérêts. Sauf que si on pousse ce principe à l'extrême, on verra des rapports louches dans toutes les activités sociales de nos dirigeants. En viendra-t-on à interdire au président de la Caisse, comme le suggère M. Marceau, de rencontrer des gens hors de ses bureaux?

De toute façon, Quebecor est particulièrement mal placée pour insinuer quoi que ce soit. C'est elle qui a bénéficié d'un immense coup de pouce de 3,2 milliards de la Caisse pour acheter Vidéotron; 11 ans plus tard, la Caisse n'a toujours pas récupéré sa mise. Et, à ce qu'on sache, le dernier exemple d'influence démesurée d'une entreprise sur la classe politique, le projet de loi 204, ne concernait pas Power Corporation...

Malheureusement, Quebecor a transformé en combats extrêmes ce qui n'était autrefois que loyales concurrences. Pour elle, tous les coups sont permis, peu importe les conséquences sur la vérité et sur la réputation des personnes visées.

C'est à contrecoeur que nous revenons sur le sujet; certains n'y verront qu'une salve de plus dans la «guerre des empires». Pourtant, les Québécois devraient s'inquiéter de cette dérive de médias à grande audience. Quiconque est perçu par Quebecor comme hostile à ses projets d'affaires verra-t-il les journaux et chaînes de télévision du groupe se lancer à ses trousses? Jusqu'où ira cette entreprise pour atteindre ses fins?