Le déclenchement d'une enquête de la Sûreté du Québec sur des allégations de divulgations illégales dans l'affaire de la taupe de la police de Montréal suscite de vives inquiétudes sur la portée et le but réels de ladite enquête. Le gouvernement, la SQ et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) doivent absolument donner des assurances claires que les policiers n'agiront pas de manière à nuire au travail journalistique.

Depuis plusieurs mois, les enquêtes des médias ont révélé à la population des cas troublants d'abus dans l'attribution des contrats publics et dans les activités de l'industrie de la construction, notamment quant à l'infiltration de ce secteur par le crime organisé. Ces reportages ont rendu un grand service à la société québécoise, en particulier en forçant le gouvernement Charest à lancer une enquête publique qui s'imposait. Les journalistes n'auraient pas pu faire leur travail sans la collaboration de sources anonymes.

Ces reportages ont plongé dans un profond embarras le gouvernement libéral, l'administration Tremblay à Montréal et les dirigeants des corps policiers. Beaucoup de gens ont donc intérêt à ce que les sources se taisent et à ce que les journalistes prennent leur trou. D'où l'inquiétude provoquée par l'enquête annoncée mercredi par le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil.

Si la police de Montréal enquêtait déjà pour savoir qui refile de l'information aux médias, pourquoi une enquête de la SQ est-elle nécessaire? L'enquête ne portera-t-elle que sur des divulgations illégales dans l'affaire Davidson ou bien en profitera-t-on pour ratisser plus large? Des reporters seront-ils mis sous écoute? Mènera-t-on des perquisitions dans les rédactions? En annonçant cette enquête criminelle, ne cherche-t-on pas surtout à intimider les journalistes? N'espère-t-on pas terroriser leurs sources, qui risquent gros pour faire éclater la vérité?

Nous serions moins préoccupés si le ministre Dutil, la Sûreté du Québec et le SPVM avaient tout de suite garanti que les journalistes ne seraient pas visés par de l'écoute électronique ou par des perquisitions. M. Dutil et le directeur de la police de Montréal, Marc Parent, ont assuré que la police ne partait pas «à la chasse aux journalistes»; mais, fait troublant, tous deux ont refusé de donner des garanties à cet égard. Même flou à la SQ.

En outre, on aurait espéré qu'à tout le moins, le ministre Dutil souligne l'importance du journalisme d'enquête et la légitimité du recours à des sources anonymes, comme l'a fait éloquemment le porte-parole du Parti québécois, Bertrand St-Arnaud. Malheureusement, rien.

Il y a peu de moments dans l'histoire du Québec où le journalisme d'enquête a aussi bien servi l'intérêt public qu'aujourd'hui. Les reporters courageux qui font ce travail ardu ne doivent pas être harcelés. Au contraire, il faut les encourager et les appuyer. La santé de notre démocratie en dépend.