Rien ne disparaît jamais complètement. La preuve? On trouve encore aujourd'hui des graveurs sur pierre. Ainsi que des... livres papier! Sans rire, il est rassurant de constater qu'un objet manufacturé depuis presque 600 ans est encore actuel, comme le montre l'achalandage au 34e Salon du livre de Montréal.

Néanmoins, en février dernier, s'est produit un événement crucial pour tous ceux qui se passionnent non pas pour l'objet, mais pour ses contenus. Ce mois-là, aux États-Unis, il s'est pour la première fois écoulé davantage de livres numériques que de livres de poche ou même de «hardcover», format sous lequel sont publiées les nouveautés.

Aujourd'hui, le plus important libraire américain, Amazon, vend 143 livres numériques pour 100 «hardcover». Et ce, à un prix moyen presque trois fois inférieur (10,23 contre 26,63$CAN).

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Il est clair que, pour le grand public et pour la plupart des genres d'ouvrages (pas tous, cependant), l'avenir appartient au livre numérique. Ses qualités sont évidentes aux yeux de quiconque manipule une liseuse ou une tablette pendant plus de deux minutes.

Or, il s'agit d'une révolution au moins aussi grande que celle déclenchée par la machine de Gutenberg. De sorte que, sauf aux États-Unis, les résistances sont fortes - comme elles l'ont sans doute été lorsque les moines copistes furent contraints de se recycler!

Au Québec comme en France, le livre numérique ne s'installe que très lentement. Par exemple, il ne compte ici que pour moins de 1% des ventes de titres québécois.

Pourquoi?

Il y a à cela des raisons pratiques. Le «ebook» en français est à peine moins cher que son équivalent papier. Les catalogues sont incomplets. Aucune librairie virtuelle n'offre une procédure de téléchargement aussi simple que le «1-Click» d'Amazon, notamment. Bref, on a la nette impression que le milieu de l'édition cherche surtout à protéger chacun des maillons de la chaîne traditionnelle du livre - du fabricant d'encre à la belle-mère de l'auteur! Ce qui est contraire à l'intérêt du lecteur et, à terme, parfaitement illusoire.

En outre, qui n'a pas entendu prononcer de vibrant hommage à la texture et à l'odeur du papier?

En France, cette touchante dévotion prend la forme de véritables déclarations de haine à l'endroit de «l'objet numérique, le filtre qui dénature tout notre environnement» (Un libraire en colère, Emmanuel Delhomme). À l'endroit du «bourreau numérique» qui s'apprête à exécuter le lecteur, le seul, le vrai, celui qui dévore du papier (Premier bilan après l'apocalypse, Frédéric Beigbeder)...

Il n'y a pas que les graveurs sur pierre et les livres papier qui ne disparaîtront jamais. Clairement, certaines nostalgies ont aussi un bel avenir devant elles.