On ne tombe pas amoureux d'un taux de croissance, disaient les soixante-huitards. De fait, les enjeux économiques, pourtant omniprésents dans l'actualité, sont incapables d'émouvoir. Et ce, même lorsqu'on les enduit d'un vernis doctrinaire ou moral, gauche contre droite, solidarité contre individualisme.

Mais qu'un professeur purge une chanson du mot «Dieu» et le diable est aux vaches! Des bouts de tissu ou de corde, des poignards de fantaisie ou des vitres givrées, peuvent nourrir pendant des mois un psychodrame national et exciter la talk radio...

Tout ça ne divise peut-être pas les familles, comme le firent les joutes référendaires, mais ça a bel et bien soudé une nouvelle aristocratie et reformaté la lutte des classes!

«La commission Bouchard-Taylor a consacré cette rupture en montrant que le multiculturalisme a pour base sociale une alliance entre l'intelligentsia, une partie de la technocratie chartiste et les médias associés à l'élite intellectuelle», constate Mathieu Bock-Côté dans son brillant Fin de cycle/Aux origines du malaise politique québécois. La faillite du multiculturalisme étant constatée partout, cette alliance a néanmoins «proposé de rééduquer la population québécoise», écrit encore le sociologue. Notamment par le cours d'éthique et culture religieuse, que la Cour suprême du Canada, par définition chartiste, vient justement de rendre intouchable.

Bousculé, méprisé, le bon peuple a tout de même compris une chose. Entre les acquis de civilisation qui s'effritent, le retour en force des religions et les prêches relativistes de la nouvelle aristocratie, c'est l'essentiel, c'est-à-dire l'identité, qui se joue.

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L'identité, oui, mais laquelle?

Ce n'est pas simple, chaque individu étant marqué de plusieurs empreintes identitaires.

Bock-Côté prône la construction d'un conservatisme moderne dont la tâche consisterait surtout à réconcilier l'identité québécoise avec son passé et son héritage. Lesquels ne se résument pas aux mythiques «grandes noirceurs» du duplessisme et du catholicisme, caricaturées par la Révolution tranquille.

C'est vrai. Mais est-ce suffisant?

On peut raisonnablement plaider que l'affaire se joue dans un espace beaucoup plus vaste. C'est-à-dire partout où se négocient des compromis sur la liberté d'expression, l'égalité (des sexes, des orientations sexuelles, etc.), la laïcité des institutions, la primauté du Droit... compromis auxquels toutes les sociétés dites avancées, dont la nôtre, consentent avec une suicidaire insouciance.

Toute personne est le produit d'une civilisation avant d'être celui d'une nation, en effet. De sorte qu'une identité québécoise forte suppose la bonne santé préalable des attributs d'une autre identité, plus ancienne, plus fondamentale, qui nous appartient aussi.

Celle qui fait d'abord de nous des Occidentaux.