Vous êtes sortis mêlés des nombreuses enquêtes censées éclairer la tragédie des CHSLD pendant la première vague de la COVID-19 ?

Vous n’êtes pas seuls. Après un an de travail, la coroner Géhane Kamel elle-même rageait de « ne pas être capable d’avoir une histoire qui se tienne ». Et blâmait une chronologie des évènements « différente selon les acteurs ».

Malheureusement, ce n’est pas l’excellent livre que nos collègues Gabrielle Duchaine, Katia Gagnon et Ariane Lacoursière publient ces jours-ci qui ajoute à la cohérence du récit fourni par le gouvernement.

Cet ouvrage révèle en effet… encore plus de contradictions. Dire que cela soulève des questions est un euphémisme.

Les Québécois cherchent encore à comprendre comment l’État a pu transférer des centaines d’aînés des hôpitaux vers les CHSLD lorsque la pandémie a frappé. Cette décision, on le sait, a eu des conséquences épouvantables. Mal préparés, les CHSLD se sont transformés en nids d’éclosions.

Pas moins de 5060 personnes – le livre est intitulé 5060 à leur mémoire – y sont mortes lors des deux premières vagues. Comme le rappelle l’animateur Paul Arcand en préface du livre, c’est plus d’une fois et demie le bilan du 11-Septembre.

Ne serait-ce que par respect pour les proches des victimes, on leur doit des explications claires.

Or, deux ans après les évènements, celles-ci ne font que s’embrouiller.

Prenons les propos de la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais.

Six mois avant son témoignage devant la coroner Géhane Kamel, Mme Blais a parlé à nos journalistes. Elle a alors raconté comment elle et sa cheffe de cabinet, Pascale Fréchette, se sont opposées au transfert de patients dans les CHSLD.

« On hurle, on hurle, Pascale et moi. On hurle tout le temps », y dit notamment la ministre.

Mme Blais affirme avoir « parlé fort » à ce sujet. On lit que sa cheffe de cabinet a menacé de démissionner si les transferts se poursuivaient.

Ceux qui ont regardé le témoignage de Marguerite Blais devant la coroner risquent de tomber en bas de leur chaise.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, durant son témoignage devant la coroner Géhane Kamel, en janvier dernier

Parce que sur cette tribune, Mme Blais a plutôt affirmé que les CHSLD n’étaient sur le radar de personne au printemps 2020. Quand on lui a demandé des exemples de préoccupations qu’elle aurait soulevées à la cellule de crise du gouvernement, elle n’en a apporté… aucun.

Difficile, devant ces contradictions, de ne pas conclure que Mme Blais a changé sa version pour ne pas embarrasser le gouvernement.

On ne parle pas ici d’une peccadille. On parle d’une ministre qui se contredit au sujet de ce qui est sans doute le plus gros drame de l’histoire moderne du Québec.

Ces zones d’ombre donnent des munitions à ceux qui réclament une enquête publique sur la gestion de la pandémie par le gouvernement Legault. Nous nous sommes déjà prononcés en faveur d’une commission ciblée, qui ne referait pas tout le travail déjà effectué. Nous l’estimons encore nécessaire.

Lisez notre éditorial « Enquêter encore, oui, mais… »

Pourquoi gratter le même bobo ? Plusieurs enquêtes se sont déjà penchées sur la question. Et on ne manque pas de recommandations à implanter pour améliorer le réseau de la santé.

C’est vrai. Il est aussi vrai qu’une commission d’enquête compte un réel danger : celui de paralyser le système au moment même où le gouvernement essaie de le « refonder ».

Mais un système de santé n’est pas composé que de budgets et de structures. Il est aussi fait de gens qui, à l’intérieur de ces structures, prennent des décisions. Or, c’est justement leur comportement qui fait l’objet de questions.

A-t-on écouté les lanceurs d’alerte ? Quels réflexes et quelles attitudes ont conduit à des erreurs ?

Le livre suggère par exemple que certains hauts fonctionnaires ont davantage cherché à rassurer les politiciens qu’à leur fournir des portraits justes de la situation. Au point où le secrétaire général du gouvernement a même mandaté des « espions » pour écouter une réunion de la cellule de crise afin de savoir si on y rapportait bien la réalité du terrain !

La pandémie offre une rare occasion d’examiner comment réagissent les fonctionnaires et les élus de la machine gouvernementale en temps de crise. Il y a de précieux enseignements à en tirer.

Mais pour ça, il faut des réponses claires. On doit trouver le moyen de les obtenir sans ralentir les réformes en cours.

Parce que ces réponses, le gouvernement Legault nous les doit.

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