Le Canada est un paradis pour la mafia.

C’est le procureur italien à la retraite Roberto Scarpinato, de passage à Montréal la semaine dernière, qui le dit.

Lisez son entrevue accordée à notre journaliste Vincent Larouche

Pour ceux qui suivent les activités du crime organisé de près, les propos de cet expert n’ont malheureusement rien de surprenant. Le Canada est reconnu comme étant une proie de choix pour les groupes criminalisés, un repère pour le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. Les Panama Papers, en 2016, avaient permis d’identifier autour de 900 Canadiens – individus ou entreprises – dont plus de la moitié ont fait l’objet d’une enquête du fédéral par la suite.

C’est connu, les organisations criminelles viennent au Canada pour créer des sociétés-écrans qui blanchissent les fruits de leurs activités illicites. Les groupes criminalisés investissent dans la cryptomonnaie, l’immobilier, le jeu et les biens de luxe comme les voitures, les bateaux et les bijoux.

Le Toronto Star a même inventé une expression pour décrire la réalité canadienne : le snow-washing.

Les sommes d’argent blanchies au Canada oscillent entre 45 et 113 milliards de dollars canadiens selon une enquête du Service canadien de renseignements criminels sur le blanchiment d’argent et la fraude, publiée en 2020.

Le modus operandi est toujours le même : les groupes criminels, qui ont des liens avec l’étranger, créent ici des entreprises légales, des fiducies ou des coquilles vides dans lesquelles ils placent leur argent sous des prête-noms. Nos lois permettent de protéger l’identité des véritables propriétaires. Parfois, le blanchiment d’argent est un jeu d’enfant : on dépose l’argent sale dans des guichets automatiques privés. Dans le secteur immobilier, bon nombre de pratiques ont été signalées, comme la surévaluation de la valeur des propriétés ou les opérations d’achat-revente rapides.

Une série d’intermédiaires font le lien entre le crime organisé et l’économie légale sans que nos lois puissent les en empêcher. Rien n’oblige en effet les courtiers hypothécaires, les prêteurs privés, les avocats et les notaires à signaler des activités suspectes ou de grosses transactions en espèces.

En début de semaine, le Toronto Star a révélé que pendant huit ans, un développeur immobilier d’origine chinoise suspecté d’activités illégales, Runkai Chen, avait transféré des dizaines de millions de dollars dans des banques canadiennes sans qu’aucune d’entre elles – ni la Banque Royale, ni la CIBC, la TD ou la Banque de Montréal – ne lève un drapeau rouge.

Dans un autre rapport accablant, l’organisme Transparency International Canada explique comment des consultants vendent le Canada à l’étranger comme un pays accueillant pour ceux qui veulent blanchir de l’argent en toute discrétion. Un peu plus et on imprime des dépliants touristiques !

Bref, c’est clair que tout le monde ne choisit pas de venir vivre chez nous uniquement pour la beauté de nos Rocheuses ou la diversité de nos restaurants. Nous sommes devenus une destination de choix pour le blanchiment d’argent, comme les îles Vierges britanniques ou les Bahamas pour les paradis fiscaux. Et l’opacité des renseignements empêche de suivre l’argent, en plus de nuire aux enquêtes, qu’elles soient policières, réglementaires ou journalistiques.

Jusqu’ici, nos gouvernements se sont montrés plutôt tièdes, pour ne pas dire indifférents, face à ce fléau qui entache la réputation du Canada sur la scène internationale. S’inspirant des pratiques britanniques, la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, a tout de même réagi dans son dernier budget : elle mettra en place un registre de la propriété effective des biens immobiliers qui devrait être en opération l’an prochain. C’est un début. Sauf que ce registre est facilement contournable puisque les provinces n’ont pas les mêmes mesures législatives qu’Ottawa.

Un groupe d’experts, dont fait partie Transparency International Canada, souhaite que le fédéral aille plus loin en accompagnant des provinces comme la Colombie-Britannique et l’Ontario dans la mise sur pied d’un registre public qui serait outillé d’un mécanisme de vérification avec des pénalités imposées aux entreprises qui ne s’y conforment pas.

Dans son rapport de 2019 sur le blanchiment d’argent, la firme Deloitte recommandait pour sa part d’augmenter substantiellement les budgets, les ressources et l’engagement des équipes qui travaillent dans le domaine des crimes financiers et de la conformité.

Une chose est claire : le Canada doit se montrer beaucoup plus ferme.

En 2018, à la suite d’une enquête du Globe and Mail sur les liens entre le trafic de drogue et le secteur immobilier, le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique a mis sur pied une commission d’enquête dirigée par l’ancien juge de la Cour suprême provinciale Austin Cullen. Le rapport Cullen a été déposé vendredi et devrait être rendu public prochainement.

Un exercice semblable devrait être mené à la grandeur du pays.

Il y a suffisamment de signaux d’alarme pour envisager la tenue d’une commission d’enquête fédérale qui ferait la lumière sur les stratagèmes d’infiltration du crime organisé dans l’économie légale et le blanchiment d’argent. Une commission à qui on donnerait des pouvoirs d’enquête semblables à ceux de la commission Charbonneau, et qui pourrait proposer des pistes de solution, législatives ou autres, afin d’empêcher le crime organisé de faire des affaires en toute impunité au Canada.

Oui, les commissions d’enquête coûtent cher et mobilisent beaucoup de temps et d’énergie.

Ne rien faire nous coûte encore plus cher.

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