Quel service de police a commis un abus de droit ? Quelle Couronne (tout pointe vers la Couronne fédérale) a déposé les accusations ? Devant quel tribunal ?

Vous ne saurez rien de ces détails du procès secret de Personne désignée, une informatrice de police (1), a tranché mercredi la Cour d’appel du Québec.

En mars, notre collègue Vincent Larouche a révélé qu’un tel procès secret a eu lieu au Québec. Aucune trace dans le système de justice. À part dans la mémoire du juge, des avocats et de l’accusée.

Dans ce dossier, l’État a commis un abus de droit à l’égard d’une informatrice de police, a conclu la Cour d’appel, qui a prononcé un arrêt des procédures. De sa propre initiative, la Cour d’appel a jugé qu’un tel procès secret n’avait pas sa place dans notre système de justice. En mars, elle a ainsi décidé d’en dévoiler l’existence dans un jugement public, en caviardant sa décision et en scellant le dossier de cour pour ne pas identifier Personne désignée.

La confiance du public envers le système de justice a été ébranlée. Avec raison. La lumière est la meilleure garantie de l’intégrité du processus judiciaire.

Personne ne veut connaître l’identité de Personne désignée. Pour des raisons de sécurité, il est important de préserver la confidentialité des informateurs de police, même s’ils sont dans le box des accusés (ce qui est rare et exceptionnel).

Plusieurs médias, dont La Presse, estiment toutefois qu’on peut connaître d’autres détails normalement de nature publique : la cour de première instance, le juge de première instance, la poursuivante, le service de police, l’acte d’accusation, le district judiciaire, les dates.

La Cour d’appel vient de refuser cette requête. En expliquant… qu’elle ne peut pas expliquer publiquement ses raisons. Parce que ça reviendrait à dévoiler des informations susceptibles de révéler l’identité de Personne désignée pour les personnes sur qui elle a fourni des informations à la police. La sécurité de l’informatrice de police serait ainsi menacée.

Avec égard pour la Cour d’appel, nous voilà donc dans une situation fort regrettable.

La Cour d’appel se range derrière une série de décisions de la Cour suprême pour conclure que la protection accordée aux informateurs de police est quasi absolue. Qu’on ne peut pas dévoiler aucune information qui permettrait à un initié du milieu (traduction : les présumés criminels qu’il dénonce) d’identifier un informateur de police.

Chaque tribunal gère des milliers de causes criminelles par année. Chaque Couronne dépose des milliers d’accusations par année. On a beau imaginer les scénarios les plus bizarres, on n’en conçoit aucun où dévoiler l’identité du tribunal et de la Couronne permettrait à des initiés du milieu d’identifier Personne désignée.

Ce qui nous amène à un autre problème : les médias n’ont jamais pu pleinement faire valoir leurs arguments, car ils ne connaissent pas la raison pourquoi la Cour ne veut pas dévoiler ces renseignements.

Un consortium de médias a suggéré que leur avocat prenne connaissance de la situation en échange d’un engagement de confidentialité de sa part. Si la situation est aussi exceptionnelle que le jure la Cour d’appel, cette dernière pourrait en arriver à la même conclusion. Mais les médias auraient pu faire valoir leurs arguments sans être obligés de plaider à l’aveugle. La Cour d’appel a refusé cette suggestion en se basant sur un arrêt de la Cour suprême en 2007 qui a mal vieilli à la lumière de notre procès secret.

Les médias n’ont pas encore décidé s’ils poursuivront le débat devant les tribunaux.

Il faut espérer que les choses n’en restent pas là. Toute brèche dans le principe de publicité des procès doit être examinée avec la plus grande attention.

Les procès criminels contre les informateurs de police ont beau être rares, ils ne peuvent pas se dérouler automatiquement en quasi-secret. Sinon, comment savoir si la police et la Couronne font bien leur travail ?

Il n’y a pas si longtemps, personne n’aurait cru possible la tenue d’un procès secret au Québec.

Non seulement c’est arrivé, mais en plus il y a maintenant un cours 101 pour faire un procès quasi secret à un informateur de police.

(1) Le féminin fait référence à Personne désignée et est utilisé dans ce texte uniquement pour simplifier la lecture. Le genre de « Personne désignée » n’est pas précisé dans la décision de la Cour d’appel.

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