La coroner en chef du Québec a pris la décision qui s’imposait en déclenchant une enquête publique sur le triple meurtre qui a eu lieu à Montréal et à Laval la semaine dernière.

C’est la coroner Géhane Kamel, épaulée par un second coroner, qui fera la lumière sur les évènements ayant mené à la mort tragique d’André Fernand Lemieux, de Mohamed Salah Belhaj et d’Alex Lévis Crevier.

Et même si le Bureau des enquêtes indépendantes mène sa propre enquête, Mme Kamel se penchera également sur l’intervention policière du SPVM qui a mené à la mort du suspect, Abdulla Shaikh.

Les familles des victimes et le public ont besoin de comprendre comment le suspect, un homme accusé de crimes graves, et avec un diagnostic de schizophrénie et des traits de personnalité narcissique et antisociale, selon les documents judiciaires, a pu se fabriquer une arme à feu et se procurer des munitions.

La coroner pourra également examiner le suivi dont a fait l’objet M. Shaikh depuis son passage devant la Commission d’examen des troubles mentaux. Cette division du Tribunal administratif du Québec examine les dossiers des personnes reconnues non criminellement responsables par une cour criminelle. C’était le cas de M. Shaikh, qui représentait un « risque important pour la sécurité du public », ce qui a permis au Tribunal d’imposer plusieurs conditions à sa libération. Et qui a donné à l’hôpital responsable de son suivi les pouvoirs pour exiger son arrestation et son hospitalisation forcée en cas de non-respect de ses conditions.

Les psychiatres nous disent qu’en général, les personnes qui font l’objet d’un suivi en santé mentale risquent moins de récidiver que des gens qui sont incarcérés. On peut de demander si le suivi était à la hauteur des problèmes de M. Shaikh. L’enquête publique nous le dira.

La question de l’accès aux armes à feu est loin de tout expliquer. Animé d’une rage de tuer, le suspect aurait tout aussi bien pu utiliser un couteau ou une arbalète pour commettre ses meurtres. Cette tragédie soulève surtout des questions sur les ressources disponibles en santé mentale.

L’hôpital responsable du suivi de M. Shaikh avait-il les ressources nécessaires pour s’assurer, sur une base régulière, du respect de ses conditions, de sa prise de médicaments et de son état d’esprit général ?

N’aurait-il pas pu bénéficier d’un hébergement spécialisé pour les personnes atteintes de schizophrénie ? De telles ressources – qui offrent un suivi médical et une supervision au quotidien – existent, mais elles sont insuffisantes, et les listes d’attente pour y accéder sont interminables.

On sait aussi qu’il existe une pression continue, de la part des gestionnaires en milieu hospitalier, pour libérer rapidement des lits en psychiatrie, lits dont le nombre a été réduit au cours des dernières décennies.

On peut également se demander si toutes les conditions sont réunies à la Commission d’examen des troubles mentaux pour assurer la sécurité du public.

Vrai, le risque zéro n’existe pas, mais il semble que le processus qui assure la sécurité du public pourrait être amélioré.

Des experts familiers avec cette division du Tribunal administratif observent que le procureur général n’assiste pas systématiquement aux audiences de la Commission. Sa présence dépend beaucoup de la disponibilité des ressources humaines. Or, un représentant du Directeur des poursuites criminelles et pénales pourrait remettre en question les arguments du psychiatre traitant et de l’avocat de la défense. Il plaiderait exclusivement en faveur de la sécurité du public.

Enfin l’enquête de la coroner Kamel nous éclairera sur la qualité de l’intervention du Service de police de la Ville de Montréal.

Les policiers avaient-ils bien évalué la situation ? Auraient-ils pu intervenir sans abattre le suspect ? Les réponses à ces questions sont très attendues.

Il n’y a pas eu trois victimes la semaine dernière, il y en a eu quatre. Et bien plus encore si on compte les familles et les proches des personnes qui ont perdu la vie.

Chose certaine, il n’y a aucune raison de se réjouir de l’issue des évènements des derniers jours ni d’être fiers de quoi que ce soit. Il faut plutôt se demander ce qu’on aurait pu faire de mieux pour assurer la sécurité de la population. Et pour accompagner plus efficacement les gens qui souffrent de problèmes de santé mentale et leur famille.

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