La déclaration malheureuse du premier ministre François Legault mercredi a fait déraper le débat sur l’immigration.

Jusqu’ici, le ton était civilisé. Chaque parti proposait ses seuils d’immigration pour contrer la courbe démographique en déclin et répondre aux besoins urgents de main-d’œuvre : 35 000 ? 50 000 ? 80 000 ? On débattait avec respect et on se réjouissait que la discussion ne prenne pas une tangente populiste comme c’est le cas aux États-Unis, avec Trump, ou en France, avec Zemmour et Le Pen.

Les choses se sont gâtées mercredi lorsque M. Legault a fait un lien entre immigration, violence et extrémisme : « Les Québécois sont pacifiques, a-t-il déclaré. Ils n’aiment pas la chicane. Ils n’aiment pas les extrémistes. Ils n’aiment pas la violence. Donc, il faut s’assurer qu’on garde ça comme c’est là. »

M. Legault a présenté ses excuses en soirée sur Twitter, mais ses propos laissent un arrière-goût désagréable. Non seulement ce genre d’amalgame est dangereux, mais il frôle la xénophobie.

Loin d’élever le débat, c’est le genre de propos qui attisent la méfiance et la division. On ne peut que s’en désoler.

En déplaçant le débat sur le terrain de l’identité et des valeurs « québécoises », thèmes chers à la CAQ, M. Legault nous prive de la vraie discussion qu’il faut avoir à propos de l’immigration. Et cette discussion, elle doit porter non seulement sur les seuils d’immigration des immigrants permanents, mais aussi sur les immigrants temporaires qui constituent la majorité des immigrants qui entrent au Québec depuis quelques années.

On parle d’étudiants étrangers, de travailleurs qualifiés, de travailleurs saisonniers aussi. Ils n’ont pas les mêmes droits que les immigrants permanents et lorsqu’ils viennent ici pour travailler, ils sont littéralement attachés à leur employeur. Ils n’ont pas accès à la syndicalisation ni aux programmes de francisation. Ce sont en quelque sorte des citoyens de seconde zone.

Or cette catégorie d’immigrants a explosé au Canada et, par ricochet, au Québec. Le nombre d’immigrants temporaires est passé de zéro à 62 000 entre en 2015 et 2019. L’immigration temporaire, qui est contrôlée par le fédéral, est également devenue une porte d’entrée rapide pour obtenir la résidence permanente puisque les demandeurs sont déjà sur place, contrairement aux immigrants « ordinaires » qui font leur demande de leur pays d’origine.

C’est ce qui fait dire au gouvernement Legault qu’il a perdu le contrôle sur son immigration. Et c’est pour cette raison qu’il ne cesse de réclamer les pleins pouvoirs du fédéral. Or nous l’avons déjà écrit, Québec n’est pas aussi impuissant qu’il le prétend. Il n’utilise pas tous les leviers à sa disposition dans le cadre de l’entente Canada-Québec sur l’immigration qui accorde des pouvoirs spéciaux au Québec depuis 1991.

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C’est également le point de vue d’André Burelle qui a été négociateur pour le fédéral. Selon lui, l’entente accorde les pouvoirs nécessaires au Québec dans la sélection de ses immigrants.

Le Québec pourrait préciser « le nombre de travailleurs temporaires qu’il souhaite accueillir dans le cadre de programmes spéciaux ». L’entente prévoit aussi des dispositions pour « harmoniser l’exercice des pouvoirs du Québec et ceux du Canada en matière d’immigration permanente et temporaire ». Dans les faits dit aussi ce spécialiste, le Québec jouit d’une sorte de droit de veto qui vient limiter le pouvoir d’Ottawa en matière d’immigration temporaire.

LISEZ l’opinion d’André Burelle parue dans Le Devoir l'an dernier

Quant à l’intégration des immigrants qui semble tant inquiéter le premier ministre, il ne tient qu’à son gouvernement de mettre en place des mesures à la hauteur des besoins sur le terrain. Le fait-il ? Ce ne sont pourtant pas les moyens qui manquent. Les paiements de transfert fédéraux au Québec en matière d’immigration étaient d’environ 650 millions pour 2020-2021 seulement.

Il y a quelque chose d’hypocrite dans la position de la CAQ sur l’immigration. D’un côté, on profite des « bras » des travailleurs saisonniers qui s’échinent dans nos champs ou des qualifications des travailleurs spécialisés demandés par les entreprises, peu importe qu’ils parlent ou non français. Nos cégeps et nos universités encaissent les chèques des étudiants internationaux sans rouspéter. Tout le Québec profite de la présence de ces immigrants temporaires. Mais de l’autre côté, on alimente la méfiance en faisant des liens douteux entre leur présence chez nous et la désintégration du tissu social. C’est particulièrement odieux.

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