Le 6 décembre 1989, un tueur a commis à l’École polytechnique de Montréal l’un des crimes les plus épouvantables qui soient : un féminicide de masse. Il a assassiné 14 femmes. Parce qu’elles étaient des femmes.

Trente-trois ans plus tard, cette cicatrice au cœur de la société québécoise fait toujours aussi mal. Elle ne se refermera jamais.

Aujourd’hui, on se recueille. On pense aux victimes, à leurs familles, à leurs proches. On pleure. On fera briller ce soir 14 faisceaux de lumière sur le mont Royal.

Comme société, on doit aussi faire tout en notre possible pour prévenir les tueries de masse.

Pendant des décennies, on n’a pas cru bon bannir l’arme d’assaut utilisée par le tueur du féminicide de Polytechnique. Le gouvernement Trudeau a mis fin à cette aberration en 2020, signant un décret interdisant 1500 armes d’assaut.

C’était un pas dans la bonne direction. Mais ce décret était un fromage suisse : il y avait plein de trous. Le gouvernement Trudeau veut les colmater en faisant adopter le projet de loi C-21 sur le contrôle des armes à feu.

Tout débat sur ce sujet a un fort potentiel de dérapage.

Là, ça dérape solide.

La Coalition canadienne pour les droits aux armes à feu (CCDAF) a offert la semaine dernière un rabais sur son site web avec le code promotionnel « POLY ». Odieux, dégueulasse, honteux, minable, pitoyable : on n’a pas d’adjectifs assez forts pour qualifier cette manœuvre. La CCDAF vient de se disqualifier du débat public.

Le gardien de but des Canadiens de Montréal, Carey Price, n’a pas élevé le débat lui non plus : il a appuyé la CCDAF et dénoncé C-21, estimant que les chasseurs comme lui ne sont pas des « criminels » ni des « menaces à la société ». À quelques jours du 6 décembre, sa sortie est très maladroite.

Le gardien du CH a accompagné sa sortie d’une photo de lui à la chasse avec un fusil semi-automatique… qui serait toujours légal avec C-21.

Bien malgré lui, Carey Price vient de démontrer que le gouvernement Trudeau a peut-être présenté un projet de loi qui bannira les armes d’assaut tout en permettant aux chasseurs de continuer à pratiquer leur loisir.

Sur le fond, le gouvernement Trudeau a raison : il faut retirer toutes les armes d’assaut de la circulation. Avec C-21, on propose une définition très large des armes d’assaut, tout en promettant que les armes « raisonnablement conçues » pour la chasse resteront légales (il y aura une liste d’armes exemptées).

Cette nouvelle approche a un avantage évident : ça va être plus difficile pour le lobby des armes à feu de contourner la réglementation.

Elle a aussi un désavantage : ça crée de la confusion quand c’est mal expliqué. Et c’est particulièrement mal expliqué par le gouvernement Trudeau depuis trois semaines.

Plutôt que de présenter C-21 d’un seul coup en mai 2022, le gouvernement Trudeau a choisi de définir les « armes d’assaut » avec des amendements déposés le mois dernier, en plein milieu du processus législatif. C’est franchement bizarre comme façon de procéder. Ça rend forcément plus méfiantes les autres formations politiques, alors qu’il faut l’appui du Bloc québécois ou du Nouveau Parti démocratique.

Qu’est-ce qu’une arme « raisonnablement conçue » pour la chasse ? Les explications du ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, ont été tout sauf limpides. Le ministre doit se ressaisir, répondre clairement à cette question (ça rassurerait bon nombre de chasseurs), et permettre aux élus de bien étudier ce projet de loi, trop important pour être adopté à la va-vite.

Peu importe les erreurs de forme des libéraux, c’est le fond qui doit prévaloir dans ce dossier.

Au Canada, détenir une arme à feu est un privilège, pas un droit. Un privilège qu’on peut restreindre pour des motifs légitimes.

On ne veut pas d’armes d’assaut dans nos rues.

Trente-trois ans après Poly, le Canada pourrait enfin passer de la parole aux actes.

C-21 ne réglera pas tous les problèmes d’armes à feu. Un faible pourcentage des crimes commis avec des armes à feu le sont avec des armes légales. Mais ça envoie un message clair : on veut réduire le plus possible les risques d’une autre tuerie.

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