Le problème, ce n’est pas que des chercheurs aient réussi une percée scientifique en produisant de l’énergie par la fusion nucléaire. Au contraire. Cette avancée, si elle se confirme, doit être célébrée.

Non. Le problème, c’est qu’en lisant le communiqué de presse qui annonce l’exploit réalisé au Lawrence Livermore National Laboratory, en Californie, on a envie de dire à Hydro-Québec de planifier le démantèlement de ses barrages et aux fabricants d’éoliennes d’imprimer des formulaires de faillite.

Nous nous trouverions, mesdames et messieurs, « à l’aube d’un futur qui n’est plus dépendant des carburants fossiles, mais qui est plutôt alimenté par la nouvelle énergie propre de la fusion », déclare de façon grandiloquente Charles Schumer, leader de la majorité démocrate au Sénat américain.

Le reste du communiqué – et on n’a que ça sous la main pour l’instant, pas le moindre article scientifique révisé par les pairs – continue sur le même ton.

On parle d’un « évènement qui change la donne » dans notre volonté d’atteindre une « économie à zéro carbone ». On évoque un travail qui « nous aidera à résoudre les problèmes les plus complexes et les plus pressants de l’humanité ».

Le problème est dans cette enflure, ce marketing de la science. Dans ce lien qu’on fait entre des problèmes urgents (les changements climatiques) et des solutions technologiques qui, au mieux, verront le jour dans de nombreuses décennies.

C’est trompeur et irresponsable.

La fusion nucléaire est le Saint-Graal de la production d’énergie. En fusionnant des atomes d’hydrogène comme cela se fait dans le Soleil, on obtient une réaction qui libère des quantités astronomiques d’énergie.

En principe, le carburant est propre et inépuisable : l’hydrogène. Et, toujours en principe, la réaction ne produit pas de déchets radioactifs, contrairement à la fission nucléaire.

Bien sûr que ça fait rêver. La recherche en ce sens est nécessaire et incontournable.

Cette semaine, les chercheurs américains ont annoncé avoir généré une réaction de fusion nucléaire qui fournit plus d’énergie qu’il n’en faut pour la déclencher. Ce serait effectivement une avancée importante.

Mais d’abord, cela devra être confirmé et répliqué.

Ensuite, ce qu’on nous annonce est à moitié vrai. Quand on regarde l’ensemble des systèmes impliqués, on réalise que ceux-ci consomment 100 fois plus d’énergie qu’ils n’en produisent.

Avant d’alimenter votre lave-vaisselle à la fusion nucléaire, il reste des défis technologiques titanesques à surmonter.

Il faudra trouver le moyen d’entretenir en continu une réaction qu’on ne parvient actuellement qu’à maintenir une fraction de seconde.

Il faudra aussi apprendre à gérer le plasma utilisé pour forcer les atomes d’hydrogène à fusionner. Comme ce plasma détruit à peu près tout ce qu’il rencontre, on n’a pas la moindre idée des matériaux qui pourraient être utilisés dans un éventuel réacteur à fusion nucléaire. C’est comme essayer de construire une boîte autour du Soleil.

Autre léger pépin. On décrit la fusion nucléaire comme propre et sûre. Sauf que pour l’instant, ce sont du deutérium et du tritium, deux isotopes de l’hydrogène, qu’on force à se fusionner.

Or, du tritium, c’est extrêmement rare… et radioactif. « Il y a environ 200 grammes de tritium sur toute la planète. Et un réacteur de fusion nucléaire en demanderait environ 150 kg par année », souligne Marcel Lacroix, expert en génie nucléaire à l’Université de Sherbrooke. On peut fabriquer du tritium… mais c’est compliqué et coûteux.

Le professeur Lacroix rappelle également que la fusion nucléaire produit un flux de neutrons qui peut rendre radioactive la matière qu’il rencontre.

Au bout du compte, il est impossible de savoir si l’aventure s’avérera un jour techniquement possible, encore moins économiquement viable. Certains experts voient des réponses d’ici 50 ans ; d’autres, d’ici la fin du siècle.

Pendant ce temps, le GIEC nous prévient que si on veut limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C, les émissions mondiales de GES doivent plafonner d’ici 2025 et être réduites de moitié d’ici 2030. Nous ne sommes pas du tout sur la bonne trajectoire pour ça.

Qu’on applaudisse les avancées scientifiques sur la fusion nucléaire, soit. Mais arrêtons de faire croire au monde qu’il s’agit du remède contre l’urgence climatique.

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