Nous sommes nés au Québec. C’est la plus grande chance de notre vie.

Eux sont nés dans des pays ravagés par les conflits armés, les crises humanitaires ou les changements climatiques causés en bonne partie par les pays développés.

Renversez les rôles un instant. Imaginez si nous étions à leur place. Si, au lieu d’avoir gagné le gros lot de la citoyenneté, nous marchions sur le chemin Roxham dans la quête bien légitime d’une vie meilleure pour notre famille.

Un peu de compassion ne serait pas de refus, n’est-ce pas ?

Mais à lire les commentaires du grand public, on mesure à quel point les Québécois sont braqués contre le flot d’immigration irrégulière.

Il faut « cesser de noyer le Québec avec de faux réfugiés », nous écrit un lecteur. « J’en ai assez de les voir arriver comme de la visite qui s’installe dans notre cour », renchérit un autre.

Un troisième a trouvé la solution : « Pourquoi ne paie-t-on pas des billets d’avion pour les renvoyer à leur point d’origine ? Cela coûtera toujours moins cher que le coût d’accueil et de gestion actuel. »

Peut-être s’est-il inspiré du Royaume-Uni, qui veut « exporter » au Rwanda ses migrants irréguliers, de plus en plus nombreux à traverser la Manche, malgré les promesses de resserrer l’immigration depuis le Brexit ?

Soyons réalistes : on ne peut pas dresser des barrages pour endiguer le flot de réfugiés qui déferle à travers le monde.

En 2022, le nombre de migrants a atteint un sommet de 100 millions de personnes, avec les guerres en Ukraine et en Syrie, la sécheresse en Afrique, les inondations au Pakistan… et on ne parle pas d’Haïti et du Venezuela.

Ce n’est qu’un début. La hausse du niveau des océans va mettre en danger 900 millions de personnes, prévenait le secrétaire général de l’ONU, mercredi, en parlant d’un exode « d’ampleur biblique ».

Longtemps épargné à cause de son éloignement, le Canada est aujourd’hui rattrapé par l’immense défi de la migration.

On aura beau fermer le chemin Roxham, les migrants passeront tout simplement ailleurs. Jouer au chat et à la souris, le long de notre frontière de 8900 kilomètres avec les États-Unis, serait aussi ridicule que dangereux.

Cela dit, il faut admettre que le fardeau pour le Québec est démesuré, puisque 42 % des demandeurs d’asile de tout le pays passent par le chemin Roxham, presque le double du poids démographique de la province (22 %).

Les logements manquent. Les organismes communautaires craquent. Vite, il faut une soupape.

À court terme, le fédéral fait donc œuvre utile en redirigeant la plupart des demandeurs d’asile vers l’Ontario : sur 380 personnes arrivées par Roxham le week-end dernier, seulement huit sont restées au Québec.

Mais en répartissant les migrants, il faut quand même prendre garde de ne pas briser leurs liens avec leurs proches au Québec, ce qui est le meilleur gage d’intégration. Et il faut se rendre compte que la crise du logement fait rage à travers le pays.

À plus long terme, il faudra inévitablement augmenter notre capacité d’hébergement pour les migrants, si on ne veut pas se retrouver avec des familles qui dorment sous les ponts, comme à Paris.

Il faudra aussi réduire les délais de traitement des dossiers complètement déraisonnables. En tardant à fournir un permis de travail aux demandeurs d’asile, Ottawa les maintient dans la précarité. En traînant pour trancher leur statut de réfugié, le fédéral tient leur vie sur la corde raide.

Ces gens méritent qu’on les traite dignement. Qu’on ne les voie pas juste comme un poids, mais comme des personnes qui peuvent contribuer positivement à la société. On l’a vu avec tous ces anges gardiens durant la pandémie. On l’a vu avec tous les réfugiés, comme l’écrivaine Kim Thúy, qui enrichissent notre culture.

Alors de grâce, arrêtons de mettre de l’huile sur le feu comme certains politiciens qui nourrissent la peur de l’autre avec un nationalisme de repli sur soi. Avant de grimper dans les rideaux, mettons-nous dans les chaussures des migrants, un instant.

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