Après Stephen Quirk, un deuxième ancien joueur de la LHJMQ, Carl Latulippe, dit avoir subi de la violence, de l’intimidation et de la séquestration de la part des vétérans de son équipe.

M. Latulippe allègue que des vétérans des Saguenéens de Chicoutimi en 1994 auraient demandé, à lui et à d’autres recrues, de se dévêtir et de se masturber dans l’autobus de l’équipe en regardant des films pornos. Certains d’entre eux auraient ensuite été enfermés nus dans les toilettes de l’autobus. M. Latulippe parle aussi d’un climat d’intimidation et de violence, selon une enquête de nos collègues Ariane Lacoursière et Simon-Olivier Lorange.1

Stephen Quirk, qui a joué à Moncton entre 1995 et 1998, allègue que des vétérans l’auraient notamment pénétré dans l’anus avec leurs doigts et de la crème chauffante.2,3

Dans les deux cas, les gestes allégués ne sont pas seulement dégueulasses : ce sont potentiellement des actes criminels.4

En plus de ces deux cas dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), 16 autres ex-joueurs juniors ailleurs au pays allèguent, dans le cadre d’une action collective en Ontario, avoir été victimes d’intimidation, de sévices et/ou d’inconduites sexuelles entre 1979 et 2014.

Comme société, on a le choix :

1) fermer les yeux, faire le minimum requis, et ne pas poser trop de questions, sauf si une plainte formelle oblige la LHJMQ à enquêter sur elle-même ;

2) aller au fond des choses et déclencher une véritable enquête indépendante pour savoir ce qui s’est passé dans les vestiaires au fil des ans, et ce qui s’y passe aujourd’hui.

Nous plaidons pour la deuxième option.

La LHJMQ peut-elle enquêter sur elle-même ? Non. Une telle enquête serait difficilement crédible actuellement. Pour trois raisons.

Premièrement, depuis le dépôt des allégations de M. Quirk en 2021, la LHJMQ et ses équipes n’ont rien fait pour aller au fond des choses. Avec les autres ligues au Canada, elles ont menotté leur premier comité d’experts (Sheldon Kennedy, Danièle Sauvageau, Camille Thériault) en lui interdisant de poser des questions aux joueurs sur les agressions sexuelles. « On aurait souhaité aller beaucoup plus loin », a témoigné Mme Sauvageau en commission parlementaire. Même si le comité a conclu qu’il y avait une « culture systémique de mauvais traitement », les ligues ont mis le rapport sur une tablette et l’ont caché au public pendant 14 mois.

Deuxièmement, la LHJMQ et ses équipes sont poursuivies au civil en Ontario – entre autres par M. Quirk – sur ces questions. Toute preuve accumulée par la LHJMQ pourra être utilisée contre elle en cour. (La LHJMQ fait actuellement une enquête sur les allégations à Chicoutimi, mais pas à Moncton en raison du recours judiciaire.)

Troisièmement, les victimes n’auraient probablement pas confiance en un tel processus. C’est ce que des joueurs francophones ont confié au comité Kennedy-Sauvageau-Thériault.

Actuellement, les victimes alléguées n’ont pas vraiment de forum sécuritaire et indépendant pour faire une plainte. L’Officier indépendant des plaintes n’a pas de pouvoir de sanction sur la LHJMQ.

Qui pourrait donc enquêter ? C’est là que le silence assourdissant des gouvernements Trudeau et Legault nous met profondément mal à l’aise.

L’État doit mettre sur pied une commission d’enquête qui pourra aller au fond des choses, en entendant confidentiellement les joueurs.

Carl Latulippe et les trois plaignants de l’action collective ontarienne, Stephen Quirk, Daniel Carcillo et Garrett Taylor, ont fait preuve d’un immense courage en prenant la parole publiquement. Leurs allégations sont trop graves pour qu’on reste là les bras croisés.

Bien sûr, le dossier est très délicat, ce qui alimente la culture du silence. Une même personne pourrait être à la fois victime (comme recrue) et bourreau (comme vétéran). Mais il faut dénoncer et anéantir cette culture toxique du vestiaire qui a gâché la vie de Stephen Quirk et de Carl Latulippe. Empêcher que ça se reproduise, dans un vestiaire de hockey ou ailleurs. Les équipes devront aussi indemniser les victimes.

On comprend que le hockey junior est populaire, que les équipes sont des institutions dans leur région.

Ce n’est pas une raison pour regarder ailleurs.

1. Lisez notre enquête « Le rêve brisé de Carl Latulippe » 2. Lisez l’entrevue du Devoir avec Stephen Quirk 3. Lisez un texte de Radio-Canada

4. Les deux présumées victimes n’ont pas porté plainte au criminel. Les gestes allégués décrivent ce qui constitue fort probablement une agression sexuelle à Moncton, de la séquestration, de l’intimidation et des voies de fait à Chicoutimi.

En savoir plus
  • 10 %
    Proportion de joueurs de hockey junior qui se sont dit victimes d’intimidation (bullying) ou de harcèlement dans ce milieu, selon un sondage auprès de 259 joueurs évoluant au hockey junior en 2020.
    Source : Rapport du comité d’experts de Sheldon Kennedy, Danièle Sauvageau et Camille Thériault
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