Treize milliards de dollars.

C’est, ramené en devise canadienne, ce que les États-Unis étaient prêts à allonger pour que Volkswagen construise une usine de batteries pour voitures électriques sur le sol américain.

Comme au poker, le Canada a égalisé la mise. Et il a remporté l’usine.

Celle-ci sera donc construite à St. Thomas, en Ontario.

Vendredi, une longue brochette de politiciens ont défilé sur le site de ce qui pourrait devenir la plus grosse usine au pays. On évoque une superficie de 378 terrains de football américain.

PHOTO CARLOS OSORIO, REUTERS

Le site choisi pour la construction de l’usine de batteries de Volkswagen, à St. Thomas, en Ontario. D’une superficie équivalente à 378 terrains de football, l’usine pourrait devenir la plus grosse du pays.

Aucun doute possible : c’est un gros coup. Un très gros coup.

Il y a cependant deux hics.

Le premier est le prix payé – sans doute le plus gros montant d’aide financière de l’histoire moderne du pays.

Le deuxième, c’est qu’on se met le doigt dans l’œil si on pense que l’arrivée de Volkswagen réglera les problèmes fondamentaux de l’économie canadienne. Celle-ci demeure minée par une faible innovation, une productivité à la traîne et des investissements privés anémiques.

Des 38 pays de l’OCDE, c’est le Canada qui se dirige vers la plus faible croissance économique d’ici 20601.

Pour créer une véritable économie du XXIe siècle, le Canada a donc tout un travail à faire. Il doit investir davantage en recherche et développement, mieux arrimer la recherche universitaire au marché et créer un environnement qui favorise l’investissement des entreprises.

L’usine de haute technologie qu’implantera Volkswagen en Ontario amènera un dynamisme indiscutable, mais cela vient aussi avec un risque : celui de penser qu’on peut s’épargner le travail de fond en achetant simplement une économie moderne à coups de milliards.

Ce serait une illusion. Parce qu’à ce rythme, on va rapidement manquer d’argent.

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L’ampleur de l’aide attribuée à Volkswagen pourrait bien être inégalée.

Bombardier, qui évolue dans un secteur hautement subventionné partout dans le monde, a été accusée à maintes reprises de siphonner les fonds publics. Elle a reçu plusieurs appuis des gouvernements au fil des décennies, mais aucun de l’importance des montants annoncés cette semaine, même en dollars d’aujourd’hui.

Le gouvernement canadien a bien lancé une bouée de sauvetage de 13,7 milliards aux constructeurs automobiles lors de la crise financière de 2009. Mais il a alors acquis des parts dans l’actionnariat des entreprises et a fini par récupérer une bonne partie de sa mise.

L’achat de l’oléoduc Trans Mountain ? Tout porte à croire que ce sera une catastrophe financière monumentale orchestrée avec l’argent des contribuables. Mais le gouvernement Trudeau a tout de même acquis une infrastructure. Il n’a pas seulement fait pleuvoir les milliards.

L’aide financière à Volkswagen nous amène donc en territoire inédit.

Il est vrai que face aux milliards déployés par Joe Biden pour créer une économie verte, Ottawa ne peut pas simplement se croiser les bras en regardant passer le train.

Il est aussi vrai que l’aide financière accordée à Volkswagen est astucieusement articulée. Outre une subvention de 700 millions pour la construction de l’usine, le reste est conditionnel à ce que Volkswagen produise des batteries.

Et plus elle en produira, plus l’aide sera importante. Cela réduit grandement les risques de soutenir un éléphant blanc. Le fameux montant de 13 milliards ne sera peut-être donc jamais atteint.

Ottawa a aussi négocié son contrat de façon à ce que l’aide canadienne corresponde à l’aide américaine contenue dans le fameux Inflation Reduction Act de Joe Biden. Si un futur gouvernement américain sabrait cette aide, le Canada sabrerait d’autant son soutien à Volkswagen.

C’est bien pensé.

Il reste qu’il faut se poser des questions quand on voit autant d’argent public être dirigé vers les poches d’entreprises privées.

Il y a à peine dix jours, la ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, mettait en garde contre la tentation des différents pays de se lancer dans une « course vers le fond » pour attirer les investissements en technologies vertes.

Une guerre de subventions aux entreprises pourrait être bénéfique pour certains actionnaires, mais elle épuiserait nos trésoreries nationales et affaiblirait les filets de sécurité sociale qui sont le fondement de démocraties efficaces.

La ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland

Des propos pleins de bon sens…

L’autre risque est le précédent qu’on vient de créer. Les entreprises ont maintenant pris note qu’Ottawa est prêt à piger dans sa banque pour les attirer. Et vous pouvez parier que les autres provinces ont aussi noté dans un calepin qu’Ottawa vient de débloquer 13 milliards pour l’Ontario…

Le risque de surenchère est réel.

On nous promet que l’arrivée de Volkswagen permettra d’éviter que le secteur automobile ontarien ne déménage en masse aux États-Unis. Qu’elle attirera une nuée de fournisseurs. Qu’elle créera 10 emplois indirects pour chacun des 3000 emplois directs.

Si tout cela s’avère, le Canada aura peut-être gagné sa partie de poker. Mais on sait à quel point l’avenir s’avère parfois bien différent de ces projections en forme de contes de fées.

1. Lisez l’éditorial : « Le Canada a besoin d’une économie du XXIe siècle » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion