À vouloir réparer ce qui n’est pas brisé, on crée des problèmes au lieu d’en régler.

On l’a vu quand le gouvernement Legault a décidé de revoir la façon de fixer les hausses de tarifs d’électricité, qui fonctionnait pourtant bien, pour y introduire une généreuse dose d’arbitraire et de politique1.

On le voit aussi avec un programme d’immigration qui a déjà été un joyau au Québec, mais que la CAQ a décidé de saboter contre l’avis de tout le monde : le Programme de l’expérience québécoise, ou PEQ.

On parle ici d’un programme qui vise les futurs immigrants dont le profil est exactement celui qu’on cherche à retenir chez nous : des gens francophones ou francisés, déjà présents sur le territoire, intégrés à la société. Le PEQ est destiné aux étudiants étrangers et aux travailleurs temporaires déjà au Québec.

En 2019, le gouvernement Legault a décidé de transformer cette voie rapide en chemin cahoteux en multipliant les exigences pour les candidats.

Aujourd’hui, on en mesure les dégâts.

Il y a une baisse prononcée de la popularité du PEQ, selon des chiffres obtenus par Le Devoir en vertu de la Loi sur l’accès à l’information2.

L’an dernier, à peine 5900 immigrants ont obtenu leur certificat de sélection en vertu du PEQ. C’est grosso modo quatre fois moins qu’en 2021 et trois fois moins qu’en 2020. C’est aussi considérablement moins que les propres cibles de la CAQ, qui visait à sélectionner entre 9000 et 11 000 personnes avec ce programme.

En pleine pénurie de main-d’œuvre, le gâchis est spectaculaire. Le Québec est en train de se priver de milliers de travailleurs qui répondent à tous les critères souhaitables et dont nous avons cruellement besoin.

La baisse est d’autant plus inquiétante que jusqu’à la première moitié de 2022, plusieurs immigrants ont encore pu bénéficier des anciennes règles. Si rien n’est fait, on peut penser que les admissions en 2023 seront encore plus anémiques.

Ce qui se passe était pourtant écrit dans le ciel et annoncé par tous les experts. Ce n’est pas sorcier : en plaçant des embûches sur le parcours des immigrants, on les décourage.

Vrai, le pire de la réforme du PEQ, d’abord pilotée par le ministre Simon Jolin-Barrette à l’époque où il dirigeait le ministère de l’Immigration, a été abandonné. Heureusement ! On peine à imaginer où on en serait aujourd’hui si ce n’avait pas été le cas.

Mais le gouvernement Legault a quand même complètement fermé le PEQ aux travailleurs les moins qualifiés, dont nous avons pourtant besoin en pénurie de main-d’œuvre. C’est le cas par exemple des préposés aux bénéficiaires, des serveurs, des caissiers, des manœuvres d’usine. Et il a exigé de longs mois d’expérience de travail au Québec pour les autres.

Il est possible qu’une partie de ces gens aient choisi de passer par le Programme régulier des travailleurs qualifiés, un programme complètement différent qui exige de recevoir une invitation du gouvernement pour qu’un candidat soit sélectionné. On a observé une hausse importante des admissions en 2022 et il est possible qu’elle compense une partie des pertes du PEQ.

Mais les avocats spécialisés en immigration à qui nous avons parlé sont formels : plusieurs de leurs clients ont simplement choisi d’immigrer dans d’autres provinces, où les démarches sont moins longues et fastidieuses. Cela inclut de nombreux francophones.

Le fédéral a ainsi son propre programme de « l’expérience canadienne », dont les critères sont désormais plus souples que celui du Québec. En 2021, le fédéral a aussi créé une voie rapide temporaire pour 90 000 travailleurs essentiels et étudiants étrangers diplômés, avec des places dédiées pour les francophones.

La bonne nouvelle, c’est qu’au cabinet de la nouvelle ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, on reconnaît le problème. On affirme travailler à des solutions et on promet des annonces bientôt.

Mais à moins de sortir un lapin d’un chapeau, on voit mal ce que la ministre pourrait faire outre atténuer les obstacles que ses prédécesseurs ont dressés avant elle.

En clair, on aura brassé beaucoup d’air et braqué beaucoup de monde… pour revenir probablement à la situation initiale.

Espérons seulement que quelqu’un dans le gouvernement Legault en tirera des leçons et inscrira le cas dans la colonne « choses à ne pas reproduire ».

1. Lisez l’éditorial « Jouer au bingo avec les tarifs d’électricité » 2. Lisez l’article du Devoir « Chute drastique des admissions au PEQ »

L’histoire jusqu’ici

2010

Le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) est créé pour faciliter l’obtention du certificat de sélection du Québec aux étudiants étrangers et aux travailleurs temporaires qui parlent français (niveau 7 exigé).

2019

Simon Jolin-Barrette, alors ministre de l’Immigration, propose une première réforme du PEQ qui met le feu aux poudres. Son accès est limité à certaines catégories d’emploi selon une liste limitative et désuète.

2020

Celle qui succède à Simon Jolin-Barrette, Nadine Girault, accouche d’une réforme moins brutale du PEQ. Celui-ci est néanmoins réservé aux emplois qualifiés et l’expérience de travail requise est rehaussée.

2022

Le nombre de candidats admis connaît une chute marquée.

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