S’il fallait une autre preuve que la décarbonation de l’économie se déroule tout croche au Québec, la voici.

On a appris la semaine dernière que le parc industriel de Bécancour sera alimenté au gaz naturel. Ce parc dans lequel le gouvernement Legault veut fabriquer les composants de batteries pour voitures électriques les « plus verts au monde ».

Brûler du gaz pour empêcher des voitures de brûler du gaz – le moins qu’on puisse dire, c’est que ça suscite des questions.

Le hic, c’est qu’il est extrêmement difficile d’obtenir des réponses.

Le gaz naturel est-il vraiment nécessaire sur place ? Si c’est le cas, ne devrait-on pas y imposer le gaz naturel renouvelable, moins polluant ? Et comment atteindra-t-on la carboneutralité si même les nouvelles installations industrielles ajoutent à nos émissions ?

Bonne chance pour voir clair là-dedans. Les experts indépendants, les écolos, le gouvernement, Énergir… Personne n’a la même vision ni les mêmes explications.

Nous avons déjà plaidé, dans ces écrans, pour une société d’État chargée de superviser la transition énergétique1. Une société qui fournirait des avis indépendants sur les meilleures façons d’atteindre nos objectifs climatiques tout en maximisant les bénéfices économiques et sociaux.

Ce qui se passe à Bécancour démontre encore une fois la nécessité d’une telle agence.

Selon les plans actuels, la filière batterie de Bécancour consommerait de 30 à 53 millions de mètres cubes de gaz naturel chaque année. Cela générerait des GES équivalents à ce qu’émettent au moins 10 000 voitures à essence.

Il faut admettre que c’est peu. Selon Québec, l’usine de GM-POSCO de Bécancour produira à terme des composants capables d’alimenter entre 150 000 et 300 000 véhicules électriques par année. Il est aussi vrai que les installations similaires en Amérique du Nord sont beaucoup plus polluantes.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre François Legault annonce un investissement pour la production de composants de batteries pour voitures électriques à Bécancour, le 29 mai.

Ces émissions sont-elles néanmoins inévitables ?

Bonne chance pour l’évaluer.

Québec soutient qu’il y aura des procédés industriels « impossibles » à électrifier dans la filière batterie, d’où le besoin de brûler du gaz naturel.

On sait toutefois à quel point le mot « impossible » est facile à brandir quand on ne veut pas se donner la peine de revoir les bonnes vieilles façons de faire.

Jacques Harvey, consultant en énergie et en décarbonation industrielle, voit un seul procédé industriel difficile à électrifier dans le futur parc industriel de Bécancour : la production d’hydroxyde de lithium, dont devrait se charger Nemaska Lithium.

Énergir nous dit pourtant avoir déjà six clients potentiels sur place. Plusieurs usines veulent avoir le gaz par « redondance », en cas de panne électrique. N’y a-t-il pas d’autres solutions moins polluantes ?

Personne, en tout cas, ne semble avoir fait l’exercice de minimiser l’usage du gaz naturel à Bécancour. En 2023, c’est une aberration – surtout pour un tel projet, qui devrait être une vitrine environnementale.

Un autre point litigieux concerne le gaz naturel renouvelable.

Ce gaz, produit par exemple à partir de déchets alimentaires, a une empreinte beaucoup plus faible que le gaz naturel d’origine fossile. Pour l’instant, il compte pour moins de 2 % du gaz naturel qui circule dans le réseau d’Énergir.

Plusieurs experts soulignent qu’on devrait le réserver aux usages impossibles à électrifier, comme la production d’hydroxyde de lithium qui se fera à Bécancour.

Or, Énergir fait précisément l’inverse. Elle veut imposer le gaz naturel renouvelable à tous ses nouveaux clients résidentiels, commerciaux et institutionnels dès 2024. Ceux-là ont pourtant une solution de rechange sous la main : chauffer à l’électricité.

Énergir le conteste, mais ça nous semble une bien drôle de façon d’allouer les ressources. Encore là, un éclairage indépendant serait précieux.

Soulignons finalement l’ironie de voir le gouvernement du Québec écarter d’un revers de main l’hydrogène vert pour alimenter Bécancour. Trop cher et trop gourmand en électricité, nous dit-on. Il n’y a pas si longtemps, François Legault voyait pourtant cette solution dans sa soupe – preuve que le discours politique n’est pas toujours basé sur des analyses rigoureuses.

Le gouvernement Legault répète qu’il veut faire du Québec « le premier État carboneutre de l’Amérique du Nord ». Dans ce contexte, il est normal de lever des drapeaux quand de nouvelles usines viennent ajouter aux émissions, sans stratégie de décarbonation.

Vivement un chef d’orchestre pour la transition énergétique.

1. Lisez « Des lunettes roses pour l’hydrogène vert » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion