Vous voulez un bon truc pour mesurer la force des convictions d’une personne qui dit défendre la liberté d’expression ? Voyez sa réaction quand elle est critiquée sévèrement, voire injustement.

Depuis de nombreuses années, le Parti québécois (PQ) défend avec fermeté la liberté d’expression. « On ne peut pas perdre de vue dans notre société des assises aussi importantes que la liberté d’expression », a écrit le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, en 2021⁠1.

On a donc été très surpris de voir le PQ dénoncer lundi le choix du chanteur Émile Bilodeau comme animateur du spectacle de la fête nationale sur les plaines d’Abraham le 23 juin. Le PQ ne participera pas à la cérémonie protocolaire avant le spectacle.

Le PQ reproche à Émile Bilodeau un « manque de respect » récurrent à son égard et à l’endroit des partisans de la Loi sur la laïcité de l’État. Selon le PQ, le chanteur ne serait pas assez rassembleur. Voici les trois déclarations publiques les plus épicées d’Émile Bilodeau (qui a fait campagne aux côtés de Québec solidaire).

  • « Il faut que le PQ meurt [sic] pour qu’il y aille [sic] une opposition souverainiste. »
  • Dans le dossier de l’abolition au serment au roi, il a traité les députés péquistes de « pleurnicheurs » qui « se tournent les pouces » tout en félicitant Québec solidaire d’avoir déposé un projet de loi.
  • Il estime que la Loi sur la laïcité est « misogyne, islamophobe et dégradante » (il a porté un macaron anti-loi 21 lors de la fête nationale en 2020).

Selon Méganne Perry Mélançon, porte-parole nationale du PQ, les organisateurs de la fête nationale n’auraient « pas dû cautionner les manques de respect et l’ultra-partisanerie d’Émile Bilodeau en le nommant animateur ».

Cette position du PQ est complètement incohérente avec la défense de la liberté d’expression.

Les convictions politiques ou les opinions tranchées d’un artiste ne devraient pas l’empêcher d’animer la fête nationale du Québec – tant qu’il reste à l’intérieur des limites du Code criminel et qu’il ne tient pas de propos racistes ou misogynes, évidemment.

Le plus hypocrite, c’est que le PQ se défend de vouloir faire dans la « culture de l’annulation » et « ne demande donc pas du tout le retrait d’Émile Bilodeau ».

Appelons un chat un chat : même s’il s’en défend officiellement, le PQ demande très clairement au Mouvement national des Québécoises et Québécois (MNQ), qui organise le spectacle, d’écarter à l’avenir comme animateur les artistes aux opinions tranchées qui déplaisent à certains politiciens2.

Le MNQ fait bien de s’en tenir à des critères artistiques et de ne pas choisir ses animateurs en fonction de leur degré de respect à l’égard de la classe politique.

Bien sûr, l’animateur a la responsabilité durant le spectacle d’en faire un évènement rassembleur et transpartisan. Mais avant et après le spectacle, il a droit à sa liberté d’expression.

S’il le désire, le PQ a tout à fait le droit de bouder la cérémonie protocolaire du spectacle. Il s’agit d’un bref discours de quelques minutes que chaque parti politique prononce devant les 150 dignitaires du salon VIP et qui ne passe pas à Télé-Québec. Son absence n’aurait même pas été remarquée sans sa sortie publique de lundi.

Le problème, c’est qu’en dénonçant publiquement le choix d’Émile Bilodeau, le PQ sait très bien ce qu’il fait : il met de la pression sur le MNQ pour qu’on épluche dorénavant les déclarations politiques des artistes pressentis pour animer la fête nationale.

Le MNQ fait bien de résister à cette suggestion néfaste pour la liberté d’expression des artistes.

Paul St-Pierre Plamondon a fait œuvre utile il y a deux semaines quand il a été l’un des premiers politiciens à changer d’idée et reconnaître qu’au nom de la liberté d’expression, le gouvernement du Québec ne devrait pas empêcher un groupe antiavortement de louer une salle au Centre des congrès de Québec3.

C’est pourquoi il est étonnant et décevant de voir le PQ nager à contre-courant en matière de liberté d’expression en créant cette controverse autour de la fête nationale.

1. Consultez une publication du chef du PQ

2. Un autre porte-parole du PQ a eu l’honnêteté de reconnaître lundi que le parti politique demande au MNQ de « faire mieux » lors des prochaines éditions de la fête nationale.

2. Consultez la publication du porte-parole du PQ 3. Lisez « L’organisation visée met en demeure Québec » 3. Lisez « Un silence gênant » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion