Quand ALDI s’est installée en Australie, il y a plus de 20 ans, personne n’aurait prédit que la chaîne allemande « sans fla-fla » fouetterait l’industrie alimentaire.

Ses deux premiers magasins, quatre fois plus petits que des épiceries conventionnelles, vendaient à peine 900 produits, la plupart de marques inconnues. Pas de sacs gratuits à la sortie, pas de programme de fidélisation. Juste des bas prix.

Avec cette recette à succès, ALDI a gagné 9 % du marché australien, ce qui a fait fondre significativement les prix dans l’ensemble des épiceries. Un phénomène qu’on a observé à travers la vingtaine de pays où le détaillant s’est installé.

Le genre de phénomène qu’on aimerait beaucoup voir au Canada pour réduire la facture d’épicerie qui augmente beaucoup plus vite que l’inflation (9 % en mai, contre 3,4 % pour l’inflation générale).

À qui la faute ?

Oui, la pandémie et la guerre en Ukraine ont augmenté les coûts des aliments.

Mais les épiciers qui ont le gros bout du bâton en ont profité pour augmenter leur marge de profit d’un ou deux points de pourcentage depuis cinq ans, estime le Bureau de la concurrence dans un rapport déposé mardi⁠1.

Un ou deux points de pourcentage, ça peut sembler très mince. Mais ça représente jusqu’à 2 milliards à l’échelle du pays, soit 150 $ en moyenne par ménage chaque année.

Et la situation est peut-être encore pire, car certaines entreprises ont eu le front de ne pas fournir les renseignements demandés par le Bureau de la concurrence, qui n’a pas les moyens de les y contraindre, contrairement à la plupart de ses homologues du G7.

C’est pathétique. Notre chien de garde est à moitié aveugle.

Les consommateurs canadiens méritent mieux.

Pendant des décennies, ils ont avalé sans broncher la consolidation de l’industrie. Cinq des huit grandes chaînes qui existaient en 1986 (Steinberg, Provigo, A & P, IGA et Safeway) ont été absorbées par Loblaw, Sobeys et Metro. Malgré l’arrivée de Costco et de Walmart, il ne reste donc plus que cinq grands acteurs qui font la vie dure à quelque 6900 petits épiciers indépendants.

Ici encore, le Bureau de la concurrence manque de mordant.

À cause des lois canadiennes trop molles, il peut difficilement s’opposer lorsqu’un grand épicier achète un petit nombre de magasins en milieu urbain, où on trouve cinq ou six autres épiceries à proximité, faute de preuve flagrante que la transaction nuira considérablement à la concurrence.

Alors, tranquillement, l’érosion se poursuit. La concurrence diminue. Et les prix grimpent… ce qui alimente la colère des consommateurs qui ont l’impression que les épiciers leur jouent dans le dos.

Il faut dire que l’odeur de collusion est plus forte que jamais.

La semaine dernière, Canada Bread a accepté de payer une amende record de 50 millions dans l’affaire du cartel du pain, où de nombreux acteurs, qui font encore l’objet d’une interminable enquête du Bureau de la concurrence, se seraient entendus pour fixer les prix.

Et voilà qu’on apprend que leur « stratégie de gestion des profits à la hausse » pourrait être encore plus large et toucher la viande, selon un courriel envoyé par l’ancien patron de Maple Leaf Foods, Michael McCain, rapporté dans le Globe and Mail.

Décidément, le Bureau de la concurrence a du pain sur la planche. Et nos gouvernements aussi ont du travail à faire pour améliorer la concurrence, en réduisant les obstacles qui minent la concurrence.

Par exemple, les grands noms de l’alimentation utilisent souvent leur poids pour empêcher la venue de commerces qui vendent des produits similaires dans le même centre commercial qu’eux ou dans un établissement dont ils se départissent.

Pourquoi ne pas suivre l’exemple de l’Australie, qui a forcé les grands épiciers à éliminer progressivement ce genre de stratégie ? Si on veut qu’un nouveau concurrent s’installe chez nous – et fasse baisser les prix comme ALDI en Australie –, encore faut-il que l’espace commercial soit disponible.

⁠1 Consultez le rapport du Bureau de la concurrence Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion