Changer la façon de faire des interpellations policières tout en conservant l’adhésion des policiers et la confiance des Montréalais.

C’est le premier vrai test du nouveau chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Fady Dagher.

Un test pour lequel il doit absolument y avoir une obligation de résultat.

Le nouveau chef du SPVM ne veut pas entendre parler d’un moratoire sur les interpellations policières, soit l’acte d’intercepter un citoyen. Or le moratoire est la principale recommandation d’un rapport déposé la semaine dernière par des chercheurs indépendants mandatés par la police de Montréal.

Ce rapport fait suite à un autre, déposé en 2019, qui concluait entre autres que les membres des groupes racisés étaient surreprésentés dans les statistiques. Ce constat avait poussé le SPVM à se doter d’une politique qui interdit désormais les interpellations aléatoires.

Or on dirait que cette nouvelle politique, adoptée en 2020, n’a pas eu grand effet auprès des policiers, du moins si on se fie aux propos recueillis par les chercheurs.

Ces derniers constatent que les policiers n’ont pas changé d’avis à propos de la manière de faire des interpellations même si la politique est venue baliser l’intervention. Ils ne reconnaissent pas l’existence de biais à l’endroit des groupes racisés et perçoivent toute discussion sur le sujet comme une critique de leur travail.

Le fossé est donc immense entre les groupes de la société qui dénoncent le caractère discriminatoire, voire raciste des interpellations policières, et la vision qu’en ont les policiers.

On part de loin.

Pourtant, le SPVM réfléchit à ces questions depuis 2017. Sa politique sur l’interpellation est le fruit de nombreuses consultations et recommandations qui ont débuté il y a six ans.

Et Montréal est loin d’être la seule ville où on remet ces pratiques en question. La plupart des services de police qui ont mené des études sur le sujet sont tous arrivés au même constat : le profilage racial est un des effets pervers de l’interpellation, et les personnes racisées en souffrent. Sans compter que cette pratique peut complètement déraper comme on l’a (encore) vu cette semaine en France.

Les villes de Toronto, Vancouver et Edmonton ont récemment revu leur politique sur les interpellations. Après un rapport dévastateur, la province de la Nouvelle-Écosse les a carrément interdites.

Fady Dagher s’oppose donc au moratoire, mais il ne nie pas l’existence du profilage racial pour autant. Il a souvent raconté par le passé en avoir été à la fois l’auteur et la victime. Mais à ses yeux, l’imposition d’un moratoire priverait ses policiers d’un outil de travail indispensable.

Le chef du SPVM préfère donc s’attaquer à la culture plutôt qu’à la structure. Il demande à la population montréalaise de lui faire confiance : il promet de changer les choses de l’intérieur. Et il s’engage à mettre en place plusieurs comités qui bâtiront des ponts avec les communautés montréalaises qu’il souhaite inclure dans la réflexion sur le travail policier.

On devine la position très inconfortable dans laquelle se retrouve M. Dagher. Imposer un moratoire, c’est se mettre à dos ses troupes dès le début de son mandat. Ce n’est pas un hasard si le programme d’immersion cher à son cœur n’est imposé qu’aux nouvelles recrues. On devine que les vétérans ne sont pas très chauds à l’idée d’aller passer un mois dans les milieux communautaires.

Entre la volonté d’opérer de grands changements et les pressions de la Fraternité des policiers, M. Dagher doit naviguer serré.

Mais ce n’est pas une raison pour lui donner un chèque en blanc.

Les nouvelles structures consultatives qu’il souhaite mettre en place sont une excellente idée, mais elles ne sont pas suffisantes.

Concernant les interpellations policières, il doit y avoir un système de reddition de comptes accompagné d’un échéancier.

On doit pouvoir observer des résultats dans des délais raisonnables.

Le temps passe et des Montréalais souffrent de se faire interpeller sans raison. Ils attendent depuis trop longtemps que les choses changent. On ne pourra plus étirer l’élastique encore très longtemps.

Comme l’a si bien dit le juge Michel Yergeau dans le jugement Luamba, on ne peut pas, comme société, tolérer qu’une partie de la population souffre en silence en espérant qu’il y ait une épiphanie au sein des corps de police.

Il faisait référence aux interceptions routières sans motif réel, une pratique policière qui s’appuie sur le Code de la route, mais ses propos sensibles pourraient tout aussi bien s’appliquer aux interpellations policières.

On veut bien faire confiance au nouveau chef du SPVM, mais il devra montrer que son approche donne des résultats. Plus tôt que tard.

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