Vous savez qu’il y a un problème avec un médicament quand des gens qui ne sont pas malades le convoitent et l’utilisent… et que des patients qui pourraient en bénéficier n’y ont pas accès.

C’est ce qui se passe actuellement avec les substances comme Ozempic, ce médicament de l’entreprise Novo Nordisk contre le diabète qui provoque aussi une perte de poids. C’est le pire des deux mondes.

Il est plus que temps de fixer des balises à l’utilisation de ces médicaments et de s’assurer qu’ils finissent entre les bonnes mains, pour les bonnes raisons.

C’est d’autant plus crucial qu’on pourrait n’avoir encore rien vu.

Pendant qu’Ozempic crée une commotion, l’industrie pharmaceutique développe de nouvelles molécules à doubles et même à triples mécanismes d’action qui promettent de faire maigrir encore plus efficacement.

La semaine dernière, une étude publiée dans le prestigieux New England Journal of Medicine rapportait que le retatrutide, une molécule développée par le géant pharmaceutique Eli Lilly, peut faire perdre aux patients jusqu’à 24 % de leur poids (contre environ 15 % pour l’Ozempic).

Consultez l’étude sur le retatrutide publiée dans le New England Journal of Medicine (en anglais)

Cela soulève des tonnes de questions qui dépassent largement le monde médical et touchent l’ensemble de la société.

Au Québec, un adulte sur quatre est obèse. Cela prédispose des centaines de milliers de personnes à de nombreuses maladies chroniques, de l’hypertension au diabète de type II en passant par l’arthrose, les maladies cardiovasculaires et certains cancers.

En aidant à perdre du poids, les médicaments comme Ozempic pourraient représenter une contribution majeure à la médecine moderne.

Sauf que le cauchemar de santé publique n’est pas loin.

Aujourd’hui, tout le monde et sa sœur estiment avoir des kilos à perdre. Le culte de la minceur est omniprésent, tout comme la grossophobie. Les troubles alimentaires, en particulier chez les jeunes femmes, sont en explosion depuis la pandémie de COVID-19.

Or, des molécules comme Ozempic viennent modifier profondément le rapport à la nourriture. Ce médicament imite l’action d’une hormone secrétée par les intestins à la fin d’un repas qui donne le signal d’arrêter de manger. En clair, il procure un sentiment de satiété artificiel. Une personne qui le consomme perd une bonne partie de son appétit – le tout parfois accompagné de nausées, de brûlures d’estomac ou de diarrhées.

Les risques de dérapage sont évidents et s’observent déjà. Sur les réseaux sociaux, les internautes brandissent le mot-clic #OzempicChallenge pour exposer leurs pertes de poids.

Elon Musk s’est vanté sur Twitter d’avoir perdu 14 kilos grâce à la molécule. La rumeur veut que Kim Kardashian ait consommé de l’Ozempic pour pouvoir enfiler une ancienne robe de Marilyn Monroe. Que ce soit vrai ou non, cela contribue à l’engouement – et à la banalisation – d’un médicament dont les conséquences autant physiques que psychologiques sont importantes et encore mal connues.

Entre-temps, des médecins voudraient prescrire le médicament à des patients très obèses qui doivent perdre du poids avant de subir une chirurgie ou une greffe, par exemple. Mais ils se butent à un obstacle : le médicament n’est pas remboursé par la Régie de l’assurance maladie du Québec et coûte plusieurs centaines de dollars par mois.

Le besoin de balises est donc criant. Il faut analyser les bénéfices, les effets secondaires et les coûts des médicaments pour la perte de poids afin de déterminer quels patients, dans quelles circonstances, pourraient en bénéficier.

Au Québec, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) existe exactement pour ça. Le hic : les produits contre l’obésité sont exclus de son mandat, sans doute parce qu’historiquement, ils n’étaient pas très sérieux.

L’INESSS a bien pondu un « document d’information » qui conclut que les médicaments comme Ozempic peuvent être « efficaces pour la perte de poids à court terme, lorsqu’utilisés en concomitance avec la modification des habitudes de vie ».

On y lit que ces médicaments pourraient s’avérer « pertinents pour les personnes vivant avec une obésité sévère ayant un impact significatif sur leur santé ».

Cela incite à en savoir plus. Mais pour réaliser une véritable analyse coûts/bénéfices, le mandat de l’INESSS doit être revu par le ministère de la Santé. Cela nous semble impératif.

Une autre lutte se dessine sur le plan des communications. Développer des produits qui font vraiment maigrir est un vieux fantasme de l’industrie pharmaceutique. Maintenant qu’il se réalise, il ne faut pas s’attendre à de la retenue de la part des entreprises. Les pubs du type « parlez-en à votre médecin » déferlent pour l’Ozempic, venant stimuler une demande déjà énorme. Santé Canada devrait considérer un moratoire sur ces publicités.

Quant au bruit qui circule sur les réseaux sociaux, il doit être combattu à coups de faits et de mises en garde.

Mis entre les bonnes mains, les médicaments qui font maigrir peuvent représenter une avancée médicale réelle. Mais en touchant l’une de nos obsessions les plus malsaines, ils représentent une arme à double tranchant. La science et la médecine doivent faire entendre leur voix dans le chaos qui règne actuellement.

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