Les Montréalais qui vivent dans l’Est de l’Île sont des gens patients.

On leur promet un grand projet de transport collectif depuis tellement longtemps qu’ils doivent fredonner la chanson Paroles, paroles, paroles sous la douche.

Comme Dalida, ils chantent probablement « Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots… ».

Après tout, on leur parle du prolongement de la ligne bleue depuis 1979 ! Et d’une infrastructure de transport nord-sud depuis presque aussi longtemps. On leur a aussi fait miroiter une ligne de métro rose et un REM.

En 2023, à l’heure de la transition énergétique, des changements climatiques et du discours pro-densification, un résidant de Montréal-Nord (un quartier pourtant très densifié) peut mettre jusqu’à une heure et changer d’autobus deux fois pour se rendre à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, un trajet d’à peine 10 kilomètres qui prend la moitié moins de temps en auto.

Pas étonnant que la majorité des résidents de ce secteur de Montréal (61 %) se déplacent exclusivement en voiture.

On attendait donc avec impatience les conclusions du groupe de travail présidé par l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) sur le projet structurant de l’Est. Or le rapport final, déposé le 3 juillet dernier, a eu l’effet d’une douche glacée : l’ARTM propose un REM de l’Est 100 % souterrain au coût de 36 milliards de dollars. Ouch !

On aurait voulu saboter le projet qu’on ne s’y serait pas pris autrement.

Il faut dire que le mandat du comité de travail – améliorer le projet de REM de l’Est de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) – ne lui laissait pas beaucoup de latitude pour arriver avec d’autres solutions.

Reste que le mal est fait : en moins de 24 heures, le dossier est devenu éminemment politique, pour ne pas dire toxique. Et depuis, c’est silence radio. Pas un politicien pour reprendre le flambeau et réitérer l’importance de desservir l’est de Montréal en transport collectif.

Le premier ministre François Legault dit s’être étouffé avec sa gorgée de café devant l’estimé de l’ARTM alors que la ministre des Transports Geneviève Guilbault a déclaré qu’il faudrait revoir les coûts à la baisse.

Leur « surprise » devant les conclusions du rapport est étonnante quand on sait que leurs fonctionnaires participaient aux travaux du comité qui a accouché du rapport. La communication est-elle si mauvaise au sein de l’appareil gouvernemental ?

On s’attendait à ce que Valérie Plante reprenne rapidement le flambeau et réitère sa volonté d’un projet pour l’Est. Après tout, c’est elle qui avait fait de la ligne rose son engagement électoral en 2017. Et c’est elle qui s’est battue l’an dernier pour avoir une place à la table de décision du REM de l’Est. Or la mairesse de Montréal est bien silencieuse depuis deux semaines. À l’exception d’un « je suis enthousiaste », rien pour rassurer les citoyens concernés. Ils sont pourtant en droit de savoir ce qui va se passer concrètement dans un avenir rapproché.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Christian Savard, directeur général de l’organisme Vivre en ville

Le signe de vie est finalement venu de l’organisme Vivre en ville. Son directeur général, Christian Savard, a proposé l’idée d’un « REM rose », un croisement entre le projet de ligne rose de Valérie Plante et le REM de la CDPQ. Il s’agirait d’un train léger souterrain qui ferait le lien entre le centre-ville de Montréal et le nord-est de l’île (Montréal-Nord ou Rivière-des-Prairies), et qui se rendrait peut-être jusqu’à Laval. Il arrêterait dans des quartiers très peuplés – pensons à Rosemont ou au Plateau-Est – et rejoindrait la ligne bleue du métro. Estimation approximative des coûts : entre 17 et 24 milliards de dollars.

L’idée a plusieurs qualités : le trajet répond à des besoins identifiés, il fait l’unanimité, et il désenclaverait des quartiers très mal desservis par le métro. Quant au mode choisi – le train léger –, il est favorisé dans plusieurs villes à travers le monde. Il faudrait seulement faire la lumière sur un grand mystère : pourquoi il en coûte plus cher au Québec qu’ailleurs d’en construire un ?

La proposition du patron de Vivre en ville, qui siégeait sur le premier comité d’experts du REM de l’Est, a une autre qualité : celle d’alimenter le débat et de le garder vivant. Il ne faut pas que l’Est de Montréal retombe dans l’angle mort de nos politiciens. Ses résidents ont assez attendu.

Au lieu des tristes paroles de Dalida, ils préféreraient sûrement entonner « Je vois la vie en rose ».

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