Contrairement à l’indécent fiasco du remplacement des chasseurs CF-18 par Ottawa, le récent processus d’acquisition d’avions de patrouille maritime – dont la flotte est elle aussi suprêmement vieillissante – s’annonçait simple.

Services publics et Approvisionnement Canada avait fait savoir qu’un seul avion sur le marché répondait « à toutes les exigences opérationnelles » dictées par les besoins du pays en matière de sécurité : le P-8A Poseidon, construit par Boeing.

Est-ce que ça voulait dire que dans ce nouveau dossier, on ne s’enfargerait pas les pieds dans les fleurs du tapis ?

Pas si vite !

C’était sans compter que Bombardier allait lever la main et répondre présent. L’entreprise a proposé de modifier un de ses jets privés dans l’espoir de faire concurrence à Boeing et décrocher le généreux contrat (cinq milliards de dollars, au bas mot).

L’affaire s’est rapidement complexifiée. Et politisée.

Ce fut même l’un des sujets chauds lors du Conseil de la fédération la semaine dernière. François Legault a utilisé l’évènement pour exhorter Ottawa à lancer un appel d’offres pour l’achat des avions en question.

On a aussi eu droit à une déclaration commune avec le premier ministre ontarien, Doug Ford, principal allié du Québec dans ce dossier.

Les deux politiciens ont rappelé que les entreprises du Québec et de l’Ontario « génèrent des retombées majeures et une forte croissance économique localement tout en favorisant l’innovation et en renforçant la réputation du Canada sur la scène internationale en tant que leader ».

Ce sont, en effet, de saprées bonnes raisons de laisser à Bombardier la chance de faire valoir son projet lors d’un appel d’offres.

La semaine dernière, l’avionneur québécois a rendu public un rapport préparé par PwC pour souligner les « impacts économiques » de l’offre qu’elle souhaite proposer à Ottawa (et pour répliquer à Boeing, qui a aussi promis des retombées importantes si ses avions sont achetés par le Canada).

Bombardier estime qu’avec ce contrat, 22 650 emplois seraient « soutenus directement à travers la chaîne de fournisseurs ».

Il y a plus : l’entreprise explique que si on lui donnait la chance de développer et de construire ces aéronefs, d’autres portes pourraient s’ouvrir par la suite.

Il y aura d’autres avions de patrouille à remplacer à travers le monde et Bombardier serait peut-être alors sur les rangs pour obtenir certains de ces contrats.

N’oublions toutefois pas une chose. Tout ça, c’est… en théorie.

En pratique, il n’est pas certain que Bombardier puisse répondre, en temps voulu, aux besoins de nos militaires.

Notons que l’entreprise s’est associée à l’entrepreneur du secteur de la défense General Dynamics Mission Systems-Canada (GDMS-C), qui se chargerait de modifier les avions afin qu’ils répondent aux critères d’Ottawa.

Prenons un exemple bien précis des défis que ça représente : comment doter un jet privé de Bombardier de la capacité de lancer des torpilles, une des caractéristiques essentielles recherchées par l’Aviation royale canadienne ?

D’abord, les travaux requis sur l’appareil ne seront pas simples. Ensuite, il faut être en mesure d’obtenir le feu vert du fabricant de torpilles, ainsi que celui du gouvernement américain. Il y a loin de la coupe aux lèvres.

L’appareil proposé par Boeing, lui, serait prêt à opérer. Non seulement ça, mais comme il est déjà utilisé par certains de nos plus fidèles alliés (dont les États-Unis), on s’assurerait d’une meilleure coordination avec leurs appareils.

On peut donc comprendre le scepticisme au sein du ministère de la Défense, dont ont fait état certains reportages, quant à l’offre de Bombardier.

D’autant plus que Boeing prévient qu’il ne produira pas indéfiniment le modèle d’avion qui intéresse le Canada. Traduction : si Ottawa veut l’acheter, c’est maintenant ou jamais !

Ça ne veut pas dire qu’il faut mettre une croix sur l’idée d’un appel d’offres qui donnerait à Bombardier la chance de faire concurrence à Boeing.

Mais ça veut dire qu’Ottawa doit trancher rapidement et fournir à tout le monde l’équivalent d’un plan de vol dans ce dossier, avec un échéancier précis.

Avec l’idée que l’achat doit se faire rapidement pour que les avions soient livrés en 2030, date ultime pour la mise au rencart des appareils actuellement utilisés par le Canada.

Le gouvernement fédéral a négligé la défense canadienne pendant trop longtemps. Et s’il est vrai que ce dossier est complexe, il est aussi urgent.

Puisse Ottawa ne pas nous replonger dans un cauchemar digne de la saga du remplacement des CF-18 par les F-35 !

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