C’est à croire que Pierre Poilievre fait exprès pour prouver qu’il ne comprend rien à l’économie.

Au cours de sa campagne à la chefferie conservatrice, M. Poilievre avait promis de congédier le gouverneur de la Banque du Canada s’il devenait premier ministre.

On espérait (comme sans doute plusieurs conservateurs…) qu’il avait abandonné cette idée. Or, le chef conservateur a réitéré mercredi cette promesse irresponsable et dangereuse pour l’indépendance de la Banque du Canada1.

Tous les pays industrialisés sérieux ont une banque centrale indépendante du gouvernement, laquelle s’occupe de gérer la politique monétaire du pays.

Que vous soyez d’accord ou pas avec la dernière hausse de taux de la Banque du Canada, la dernière chose que vous voulez, c’est que les politiciens commencent à micro-gérer les hausses du taux directeur. Ils seraient inévitablement tentés de favoriser la croissance économique à court terme (plus facile de se faire réélire !), ce qui augmenterait les risques d’inflation à long terme. C’est pourquoi il faut une banque centrale indépendante qui peut prendre des décisions impopulaires, mais nécessaires à long terme.

Qu’il faille expliquer tout ça à Pierre Poilievre, qui aspire à prendre le pouvoir, est sidérant.

Par surcroît, le gouvernement fédéral n’a pas le droit de congédier le gouverneur de la Banque du Canada. La loi est claire : le gouverneur est nommé pour sept ans à titre inamovible. Le mandat du gouverneur Tiff Macklem (sous-ministre aux Finances sous le gouvernement Harper) se termine en juin 2027. À moins d’un énorme scandale, Ottawa ne peut pas s’en débarrasser.

Depuis des décennies, tous les pays du G7 respectent le sacro-saint principe de l’indépendance de leur banque centrale. Seul Donald Trump parlait de congédier le président de la Fed, mais il n’a jamais mis ses menaces à exécution.

Si Pierre Poilievre tient sa promesse, le Canada se retrouverait avec une banque centrale qui n’est pas vraiment indépendante, comme en Chine ou en Turquie, et ça pourrait provoquer une crise importante.

Tous les cinq ans, le gouvernement fédéral et la Banque du Canada s’entendent sur la cible d’inflation, qui est de 2 % depuis 1996. (Les États-Unis et le Royaume-Uni ont la même cible à 2 %, l’Europe et l’Australie ont une cible similaire.) Ils réévalueront la question en 2026. Si Pierre Poilievre veut changer la cible de l’inflation – ce qui serait une grave erreur –, qu’il le dise clairement au lieu de faire de la politique sur le dos de la Banque du Canada.

Il n’y a pas que la volonté de M. Poilievre de congédier Tiff Macklem qui pose problème. Ses dernières déclarations sur l’inflation montrent aussi sa relation, disons, flexible avec les faits.

« Je veux une banque centrale qui n’est pas contrôlée par le bureau du premier ministre comme nous avons en ce moment », a dit M. Poilievre mercredi2.

Cette affirmation est archifausse. Pensez-vous que ça fait plaisir à M. Trudeau de voir les taux d’intérêt augmenter ? Bien sûr que non. Mais le gouvernement Trudeau respecte l’indépendance de la Banque du Canada. Parce qu’il sait que c’est une pierre d’assise importante d’une économie solide. Ironiquement, c’est M. Poilievre qui propose de s’ingérer dans la gestion de la politique monétaire. On ne peut pas en même temps vouloir congédier le gouverneur de la Banque du Canada et vouloir une banque centrale indépendante du pouvoir politique.

On peut critiquer certaines décisions de la Banque du Canada. La dernière hausse de 25 points de base en juillet était-elle nécessaire ? Ça se discute. Mais de façon générale, le Canada s’en tire relativement bien dans les circonstances, avec l’un des plus faibles taux d’inflation du G7 en 2023 (avec le Japon et les États-Unis).

Quoi qu’en dise Pierre Poilievre, Justin Trudeau n’est pas responsable de l’inflation, qui a touché tous les pays du G7 depuis l’été 2021. Certes, son gouvernement a beaucoup dépensé durant la pandémie, mais tous les pays du G7 ont fait la même chose. M. Trudeau a dépensé un peu plus que la moyenne, mais sa tendance dépensière est un facteur très mineur de l’inflation actuelle, causée surtout par la vigueur de l’économie canadienne, le marché du travail et les prix à l’épicerie. M. Trudeau a très peu de contrôle sur tout ça.

Le mieux que le gouvernement fédéral puisse faire pour dompter l’inflation, c’est se tasser du chemin, laisser la Banque du Canada faire son travail ingrat, et aider les Canadiens moins nantis à passer à travers cette crise.

Le pire qu’Ottawa puisse faire, c’est de miner l’indépendance de la Banque du Canada en congédiant son gouverneur. C’est ce que propose Pierre Poilievre.

1. Lisez « Poilievre réitère sa menace de congédier Tiff Macklem »

2. Ibid.

En savoir plus
  • 2,8 %
    Taux d’inflation au Canada en juin 2023. La cible de l’inflation au Canada est de 2 %. La Banque du Canada prévoit être capable de ramener l’inflation à 2 % au milieu de l’année 2025.
    Source : banque du Canada
  • 5,0 %
    Taux directeur de la Banque du Canada. Il s’agit du même taux directeur qu’au Royaume-Uni et aux États-Unis (entre 5,0 et 5,25 %).
    Sources : Banque du Canada, Banque d’Angleterre, Réserve fédérale américaine
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