Subventionner l’industrie pétrolière et gazière est « la définition même de la folie », a déjà dit l’émissaire américain pour le climat John Kerry.

À ce chapitre, le Canada est le fou en chef du G20. Les chiffres varient selon les sources, mais le pays soutient son industrie des combustibles fossiles à coups de milliards chaque année (15 milliards de dollars canadiens annuellement, selon l’organisme Oil Change International).1

Le fédéral encourage ainsi, à même nos taxes et impôts, le plus important problème de notre époque. Et il fait preuve d’une incroyable contradiction. D’une main, Ottawa taxe (avec raison !) la pollution. De l’autre, il la subventionne. Ne cherchez pas la logique, il n’y en a pas.

La bonne nouvelle, c’est que le Canada est (un peu) moins fou depuis lundi. Le gouvernement fédéral vient en effet d’abolir les subventions directes à l’industrie jugées « inefficaces ».

Non, la mesure n’est pas parfaite. Et oui, elle reste assez limitée. Avant de répondre aux journalistes qui réclamaient avec insistance des chiffres sur les dollars qui seront économisés par Ottawa, les fonctionnaires fédéraux ont longuement tergiversé. Aucune subvention déjà accordée ne sera retirée, ont-ils répondu, et il s’agit de prévenir les dérives futures.

Mais à combien s’élèvent aujourd’hui les subventions jugées « inefficaces » selon le nouveau cadre ? Une source au cabinet du ministre de l’Environnement Steven Guilbeault a fini par avancer le chiffre de 1 milliard par année. Considérant l’ampleur des subventions versées par Ottawa, c’est peu.

On aimerait d’ailleurs voir le fédéral faire preuve de davantage de transparence sur l’ampleur de son soutien à l’industrie pétrolière et gazière et sur les impacts chiffrés des mesures qu’il annonce.

Il existe aussi un malaise à voir l’industrie pétrolière pouvoir continuer à toucher certaines subventions dites « efficaces ». Celles qui sont offertes à tous les secteurs industriels, par exemple, pourront continuer d’être utilisées par les producteurs d’or noir.

Les subventions à la capture et au stockage du carbone sont elles aussi jugées « efficaces »… même si ces technologies n’ont jamais démontré leur efficacité à grande échelle. C’est pour le moins paradoxal.

On comprend évidemment l’idée d’embarquer les grandes entreprises pétrolières dans la transition énergétique. L’expert Yvan Cliche a toutefois montré récemment que celles-ci délaissent cette transition, et ce, malgré les profits records engrangés en 20222.

Disons qu’il faut être optimiste pour penser que des subventions fédérales dites « efficaces » parviendront à faire pivoter ce gros navire.

Malgré ces bémols, il existe quelques raisons d’applaudir. La première est qu’en vertu de ses engagements internationaux, le Canada avait jusqu’en 2025 pour abolir les subventions « inefficaces » à l’industrie pétrolière. Or, il a devancé l’annonce de deux ans et devient ainsi le premier pays au monde à le faire. Dans un domaine où on a l’habitude de voir les élus se traîner les pieds, une telle proactivité est réjouissante.

Cela place le Canada dans une excellente position pour exiger de l’action de la part des autres pays. Ça s’appelle du leadership.

Sachant à quel point les questions énergétiques divisent le Canada et opposent les provinces productrices de pétrole aux autres, il faut aussi parler d’un certain courage politique de la part du gouvernement Trudeau.

L’autre raison d’être optimiste est qu’il faut prendre l’annonce de lundi dans l’ensemble du plan d’action d’Ottawa sur les subventions à l’industrie pétrolière.

Avant cela, le fédéral avait déjà aboli ou « rationnalisé » neuf mesures de soutien fiscal destinées à l’industrie pétrolière. L’an dernier, il avait aussi cessé son soutien aux initiatives internationales visant cette industrie.

Le gros morceau est quant à lui attendu l’an prochain. Il s’agit d’aller au-delà des subventions directes et de retirer toutes les aides publiques (comme les prêts ou garanties de prêt) destinées à l’industrie pétrolière. C’est là que le Canada se montre le plus généreux, notamment par l’entremise d’Exportation et développement Canada (EDC).

Il est encourageant de savoir qu’Ottawa travaille à cette troisième étape, même si on aimerait la voir se déployer plus rapidement.

Face à l’urgence climatique qui n’attend pas pour faire sentir ses effets, les réponses politiques n’apparaissent jamais assez rapides ni décisives. Au moins, le Canada a reconnu son problème de soutien à l’industrie pétrolière et travaille à la sevrer de nos deniers publics. Si on veut voir le verre à moitié plein, il s’agit d’une première étape encourageante.

1. Consultez le rapport Past Last Call : G20 Public Finance Institutions are still Bankrolling Fossil Fuels (en anglais) 2. Lisez la lettre d’opinion « Les grandes pétrolières délaissent la transition énergétique » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion