Il n’y a aucune bonne raison qui justifie que le Canada est toujours le seul pays du G7 sans train à grande vitesse (TGV).

Les Britanniques, les Français, les Allemands, les Italiens et les Japonais ont fait le choix sensé et logique de construire des TGV quand la densité de la population le justifie. (Même les Américains ont un train à 250 km/h sur une petite partie du tracé Boston-Washington.)

Au Canada, on privilégie la voiture et l’avion, deux moyens de transport plus polluants. Ça n’a plus sa raison d’être, surtout avec la crise climatique. À l’exception des États-Unis, le corridor Montréal-Toronto est sans doute le plus riche/populeux en Occident qui n’a pas de TGV.

Depuis 2019, le gouvernement Trudeau fait la promotion d’un projet de train à grande fréquence (TGF) entre Québec et Toronto au lieu du TGV, un projet qu’il estime trop cher.

Il a annoncé la semaine dernière les trois consortiums en lice pour lui soumettre des projets.

Avec un TGF, VIA Rail, qui utilise les rails du CN et du CP depuis des décennies, aurait enfin ses propres rails. Les trains passeraient d’une vitesse de 90 km/h à 120 km/h et arriveraient enfin à l’heure. C’est bien. Mais soyons sérieux : ce n’est pas la révolution dont nous avons besoin en matière de transport ferroviaire.

Devrait-on avoir un TGF ou un TGV dans le corridor Québec-Toronto ? Difficile pour les Canadiens de se faire leur propre idée, car Ottawa refusait jusqu’ici de donner ses estimations de coûts pour le TGF et le TGV. Jusqu’à aujourd’hui. Notre collègue Julien Arsenault révèle qu’Ottawa évalue à 80 milliards le coût d’un TGV Québec-Toronto1. Cette estimation (80 millions/km X 1000 km = 80 milliards) nous semble élevée à première vue par rapport à beaucoup de projets de TGV en Europe (32 millions/km selon un rapport européen datant de 2018), mais passons.

Et le TGF ? Bizarrement, Ottawa refuse de dire officiellement combien il pourrait coûter. Une règle élémentaire de gestion des fonds publics veut pourtant qu’un gouvernement donne une estimation des coûts d’un projet majeur. Entre les lignes, on comprend qu’un TGF coûterait entre 28 et 35 milliards (quatre à cinq fois le coût du REM), même si le fédéral ne confirme pas ces chiffres.

Au moins, il y a de l’espoir pour les partisans du TGV. Dans l’appel de candidatures lancé récemment, Ottawa demande aux trois consortiums deux scénarios pour un nouveau train. Premièrement, le projet original : un TGF qui va en moyenne à 120 km/h (vitesse maximale de 200 km/h). Deuxièmement, un projet plus audacieux : un train hybride entre le TGF et le TGV où on atteindrait des vitesses plus importantes que 200 km/h sur certaines portions du tracé (en théorie, un TGV roule jusqu’à 300 km/h).

Entre les deux, c’est ce dernier scénario, un demi-TGV, que le gouvernement Trudeau doit privilégier. Et il doit le dire haut et fort. Dès maintenant.

Oui, ça coûtera plus cher. Mais ce sera un investissement beaucoup plus rentable et structurant.

Ottawa a un choix à faire.

On peut dépenser 35 milliards pour un TGF qui partira plus souvent, qui arrivera à l’heure, mais qui ne convaincra pas beaucoup de Canadiens de troquer leur auto solo (Montréal-Québec, Montréal-Ottawa) ou l’avion (Montréal-Toronto) pour le train.

Ou on peut dépenser 60 milliards2 pour un demi-TGV. Un peu plus de la moitié du tracé Toronto-Québec (570 km sur 1000 km) se prête relativement bien à un TGV. Ce demi-TGV serait plus rapide que l’avion entre Montréal et Toronto (en comptant l’attente à l’aéroport) et plus rapide que l’auto entre Québec et Montréal.

Les Canadiens ne sont pas plus fous que les Japonais, les Allemands ou les Français : si le train est plus rapide, plus efficace et à un prix concurrentiel, ils préféreront le train à l’avion et à la voiture.

Ottawa doit prendre sa décision à l’été 2024. On espère que le fédéral fera preuve d’audace, de transparence et de pédagogie dans ce dossier. Et qu’il choisira au minimum le demi-TGV.

Tant qu’à dépenser des dizaines de milliards dans le plus important projet de transport de l’histoire du pays, aussi bien rattraper pour vrai nos décennies de retard par rapport aux autres pays du G7 (sauf les États-Unis).

1. Lisez « Un TGV coûterait 80 milliards, dit Ottawa »

2. Comment arrive-t-on à 60 milliards ? Il s’agit de notre estimation. Un TGF coûte 35 milliards. On ajoute à cette somme 25 milliards pour construire 57 % du tracé en TGV, en se basant sur le fait qu’un TGV complet coûterait 45 milliards de plus (45 milliards X 57 % = 25 milliards). Il s’agit évidemment d’une estimation. Voici les portions du tracé Québec-Toronto où il serait réaliste et moins coûteux de construire un TGV : aéroport de Québec-Laval (260 km), Alexandria-Ottawa (100 km), Smith Falls(à l’ouest d’Ottawa)-Peterborough (210 km).

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