C’est une excellente nouvelle que le ministre de la Culture du Québec, Mathieu Lacombe, a enfin classé le cœur du Quartier chinois de Montréal comme site patrimonial. C’est un lieu unique au Québec et dans l’est du Canada. Malgré les années et les transformations, c’est un quartier qui n’a pas complètement perdu son âme.

On se réjouit, donc, mais on s’étonne aussi. Comment expliquer qu’on ait attendu si longtemps pour protéger des rues à ce point chargées d’histoire, et habitées par la communauté chinoise depuis 1888 ?

La vérité c’est que le Quartier chinois a été très négligé au fil des ans. Il a un grand besoin d’attention et d’amour.

Au début des années 1980, on l’a amputé pour construire le complexe Guy-Favreau. Puis, il a été assailli par les promoteurs.

On l’a laissé vivoter longtemps avant de réfléchir sérieusement à sa préservation.

Et sans l’achat récent par des promoteurs d’un bloc d’immeubles au nord de la rue De La Gauchetière, achat qui a eu l’effet d’un véritable électrochoc, il aurait peut-être fallu attendre encore plus longtemps.

Les résidants et les défenseurs du patrimoine espèrent maintenant que le ministère de la Culture fasse un pas de plus et qu’il accorde au Quartier chinois le même niveau de protection qu’au Vieux-Montréal, un long processus qui peut prendre encore une dizaine d’années.

D’ici là, heureusement, on peut respirer : il n’est plus possible de toucher à une brique des immeubles de ce quartier sans permis. Il faut souhaiter que les nouvelles règles soient respectées et qu’un vrai contrôle soit mis en place. Une démolition est si vite arrivée… 

Le Quartier chinois a déjà beaucoup souffert. Visuellement, l’exemple le plus choquant est sans contredit les deux tours grises qui flanquent l’arche traditionnelle installée à l’angle de la rue Viger et du boulevard Saint-Laurent à l’époque du maire Pierre Bourque. Aujourd’hui, cette arche n’a plus d’espace pour respirer. Ce qui devait être la majestueuse porte d’entrée sud du Quartier chinois se retrouve écrasée entre deux édifices moches. Comment a-t-on pu permettre ces constructions ? Mystère. C’est seulement après qu’elles ont été construites que la Ville a limité la hauteur permise. Mieux vaut tard que jamais. Dans ce cas-ci, le mal était fait.

L’évolution du Quartier chinois nous rappelle à quel point la protection du patrimoine n’est pas chose facile au Québec. Les processus sont lents, pour ne pas dire très lents. Il y a beaucoup d’intervenants impliqués et plusieurs aberrations que le novice s’explique mal.

À la vitesse où les dossiers avancent, il est difficile de croire qu’on arrivera à tout sauver.

Et encore faudrait-il qu’on ait une vision précise de ce qu’il y a à sauver.

Or c’est loin d’être le cas.

Au printemps dernier, la Ville de Montréal s’est fait taper sur les doigts par la vérificatrice générale, Michèle Galipeau, qui lui a reproché de mal connaître l’état de son parc immobilier patrimonial. Comment bien entretenir des immeubles qui sont mal répertoriés ou qui ne le sont pas du tout ? C’est un vrai problème.

À la demande du ministère de la Culture, les villes du Québec doivent dresser un inventaire de tout immeuble construit avant 1940 (et après aussi, si elles le désirent). Les MRC et les municipalités, y compris Montréal, ont jusqu’en 2026 pour le faire.

Une fois l’inventaire terminé, on aura une idée plus claire de l’ampleur du travail. Et il sera temps de se demander ce qu’on conserve et ce qu’on convertit, et à quel prix.

L’État ne pourra pas tout financer. Il faut réfléchir dès maintenant à des mesures pour aider financièrement les propriétaires privés et institutionnels à entretenir leurs édifices. Crédit d’impôt, exemptions de taxes, etc. Plusieurs mesures devraient être étudiées. Certains, comme l’avocat et doctorant Charles Breton-Demeule, un expert en droit du patrimoine culturel, proposent qu’on s’inspire des Britanniques en encourageant la création d’une fondation privée destinée à la préservation et à l’entretien du patrimoine. Avec une subvention gouvernementale de démarrage et une collecte de dons permanente, la fondation pourrait acheter des immeubles, les restaurer et les entretenir. C’est une bonne idée qu’il faut explorer.

Le long périple qui a mené à la protection du Quartier chinois nous rappelle qu’on doit accélérer la réflexion si on veut mieux protéger et valoriser notre patrimoine.

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