Personne ne sera étonné, puisqu'on voit déraper ce dossier depuis des années... Le vérificateur général du Canada a livré, hier, un rapport accablant sur le processus d'acquisition des avions de combat F-35 de l'avionneur Lockheed Martin. Et encore Michael Ferguson ne s'est-il intéressé qu'au seul aspect technocratique, pour ainsi dire, du dossier.

Le F-35 est un chasseur de cinquième génération encore en développement, autour duquel on a bâti le plus ambitieux programme multinational d'armement jamais entrepris. Pour remplacer les CF-18 qui ont dépassé l'âge de la retraite, le Canada doit (devait?) en acquérir 65 exemplaires, à un coût que l'on est toujours désespérément incapable de fixer - quelque part entre 16 et 25 milliards.

En gros, donc, le vérificateur général constate que la Défense nationale n'en a fait qu'à sa tête, décidée à se doter de ce formidable jouet high-tech. Tout en ignorant les règles usuelles (dont la procédure d'appel d'offres), les militaires ont retenu ou trituré les informations pertinentes: celles concernant les coûts, les problèmes de développement, les performances de l'appareil, l'importance des retombées industrielles.

Devant ce mini-coup d'État à portée restreinte (!), on comprendra que le gouvernement conservateur a été, soit tacitement approbateur, soit d'une formidable insouciance.

Hier, Ottawa a réagi avec un train de mesures visant à encadrer le projet et à geler son budget, tout en entrouvrant la porte à un examen plus large. Aucun contrat ferme n'est encore signé quant à l'achat des F-35, a rappelé le gouvernement Harper.

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Ce dernier point est crucial.

Car Ottawa doit faire davantage et reprendre à zéro l'évaluation des besoins réels des Forces armées en termes de machines volantes. Auquel cas il pourrait s'avérer judicieux d'acquérir un moins grand nombre, ou pas du tout, de ces coûteux bijoux de Lockheed Martin.

Déjà, certains des pays impliqués dans le projet, dont les États-Unis eux-mêmes, réexaminent leurs engagements initiaux.

Nous avons plusieurs fois exposé dans cette colonne que beaucoup de questions demeurent en suspens. Et pas seulement au sujet du F-35 lui-même.

On peut aussi s'interroger, en effet, sur l'utilité qu'aura dans l'avenir une imposante flotte de chasseurs, à une époque où la nature des conflits et des besoins d'intervention militaire se transforme profondément. Où la spécialisation des tâches au sein de l'OTAN est déjà une réalité: nous n'avons pas de porte-avions ni, en pratique, de... sous-marins! Où la technologie (surtout celle des drones, en plein boom) offre de plus en plus d'alternatives viables.

Le jet fighter est l'icône des guerres passées, une monture mythique, puissante, sexy. Mais cela ne suffit peut-être plus, aujourd'hui, à le rendre partout et toujours indispensable.