Le transport collectif enregistre des records d'affluence. Comment devrait-on financer les projets de développement du transport en commun? En utilisant une partie des recettes du péage? Par le truchement de la taxe sur l'essence ? Que suggérez-vous? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.    

Pierre-Olivier Pineau

Professeur à HEC Montréal et spécialiste en politiques énergétiques.



LES AUTOMOBILISTES N'ONT PAS À CONTRIBUER



Si les automobilistes doivent directement payer le plein coût de leur usage des routes, des infrastructures et de leur voiture (ce qui correspondrait à un coût supplémentaire d'environ 50¢/litre d'essence), le financement du transport en commun ne doit pas dépendre de l'usage de véhicules individuels. En effet, la mobilité automobile doit absolument décroître en intensité, pour des raisons de coût économique, de pollution, de congestion et de santé. En finançant le transport en commun à partir de son principal compétiteur, on lie son développement au maintien de l'auto-solo - ce qui est contraire au développement durable, qu'il est urgent de mettre en oeuvre. Il ne faut donc pas financer le transport en commun à même des péages ou une taxe sur l'essence. Il faut au contraire augmenter le financement public, à même le budget consolidé du gouvernement provincial, tout en maintenant la participation des usagers au niveau actuel. La justification de ce type de financement repose sur le fait que le transport en commun bénéficie à tous: directement à ceux qui l'utilise, et indirectement aux autres: en ayant un accès universel à la mobilité (important pour les employeurs), en réduisant l'espace public dévolu au stationnement de voitures privées et en réduisant les pollutions sonores et atmosphériques liées aux voitures. Il est donc normal que tous contribuent au financement. Le budget du gouvernement ne serait pas alourdi si, par ailleurs, il faisait payer les automobilistes pour l'ensemble des coûts engendrés. La diminution des coûts liés aux accidents, à la pollution, aux infrastructures routières et à la congestion compenserait aussi les dépenses supplémentaires.


Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



UN EFFORT COLLECTIF 



Les automobilistes profitent énormément du transport en commun sans lequel la circulation au centre-ville de Montréal serait absolument impossible. Imaginez s'il fallait que tous les usagers du métro et des autobus se rendent à leur travail en automobile, même en covoiturage! Ce serait la catastrophe. Or, malgré l'augmentation récente des droits d'immatriculation et de la taxe sur l'essence destinée au transport en commun, la part des automobilistes dans le financement du transport public demeure encore trop faible. D'autant plus qu'il faut non seulement faire fonctionner le système actuel, mais qu'il faut, d'urgence, le développer considérablement. Et pour cela, il faut plus de ressources financières. Malheureusement, nous devons payer maintenant pour l'inaction des années passées. Dans le rapport que j'ai fait, il y a quelques années, à la demande du gouvernement, sur le financement du transport en commun à Montréal, j'ai proposé une augmentation minime d'un cent le litre sur l'essence et une augmentation de 15 dollars sur l'immatriculation: cela aurait réglé le problème financier pour plusieurs années. Mais on n'a rien fait, et même avec des augmentations supérieures cette année, le problème financier demeure important. Dans ce domaine, il coûte très cher de laisser pourrir les problèmes. Bien sûr, les automobilistes ne doivent pas être les seuls à payer la note: ce sont tous les intéressés qui doivent faire un effort supplémentaire, y compris le gouvernement québécois, les municipalités  et les usagers. Mais pour que cela se concrétise, il doit y avoir un plan d'ensemble où tous auront le sentiment de participer à un effort collectif. Et c'est ce qui manque à l'heure actuelle.  Dans mon rapport, j'ai recommandé que la responsabilité première de mettre de l'avant ce plan d'ensemble soir confiée à la Communauté métropolitaine de Montréal. Je crois que cette proposition reste encore d'actualité et mérite d'être étudiée sérieusement.


Daniel Gill

Professeur agrégé à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.



OUI À LA TAXE, NON AU PÉAGE



Le financement du transport en commun constitue un enjeu important en termes d'urbanisme. Par différentes stratégies, on espère ainsi régler de nombreux problèmes principalement environnementaux. Et finalement derrière des objectifs d'amélioration de la mobilité, se cachent en fait des objectifs environnementaux. Par les péages autour de l'île, on espère limiter l'étalement urbain. Par la tarification tous azimuts, on espère réduire la place de l'automobile. L'enjeu environnemental a clairement dépassé les enjeux de mobilité. Ceci soulève la question d'équité. En effet, de nombreux automobilistes doivent payer pour un service qu'il ne leur sera jamais rendu, compte tenu de leur lieu ou horaire de travail, tous les efforts étant actuellement consentis pour l'amélioration des déplacements vers le centre-ville. Iniquité également entre les quartiers pauvres très mal desservis et où se trouvent en fait les individus ayant de véritables problèmes de mobilité  et les banlieues parfois cossues qu'on suréquipe pour favoriser les transferts modaux. Iniquité également avec les travailleurs hors centre-ville qui sont aussi très mal desservis. Pour plus d'équité, il faudrait dissocier les enjeux environnementaux des enjeux spécifiquement de transport et d'urbanisme. Si, effectivement, les automobilistes doivent payer pour leurs impacts sur l'environnement par une taxe sur les essences, il n'est pas certain que ceux qui vivent et travaillent en deuxième et troisième couronne doivent par contre payer pour l'implantation d'un tramway à Montréal. On comprendra la réticence de certains à devoir payer pour le confort des autres.

Daniel Gill

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP à Québec.



UNE TAXE, C'EST UNE TAXE!



Lorsqu'il est temps de faire payer les autres, nos administrateurs publics débordent d'imagination. Le péage routier n'est pas à proprement parler une mauvaise chose. L'idée de faire supporter aux consommateurs le coût réel de l'utilisation d'un bien ou d'un service public est même souhaitable; on parle alors du principe de l'utilisateur-payeur. Les revenus de péage servent alors, et de manière exclusive, à la construction et à l'entretien des infrastructures routières. Si, par un heureux hasard, le péage dégage des surplus, on doit selon ce principe les reverser dans les poches de l'automobiliste. En proposant de prendre 50 % des revenus de péage pour financer le transport en commun, l'ambition réelle de la Société de transport de Montréal (STM) est de taxer les usagers de la route pour financer ses projets de développement. On ne cherche pas seulement à faire payer les automobilistes pour des services qu'ils utilisent, mais à les faire payer pour les utilisateurs d'un autre service, en l'occurrence les usagers du transport en commun. On appelle ça poliment de l'interfinancement. Doit-on se réjouir de l'introduction, par le péage, d'une nouvelle taxe auprès des usagers de la route? On dira bien ce qu'on voudra, mais une taxe... c'est une taxe!

Pierre Simard

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale.



TOUJOURS PLUS!

C'est proprement stupéfiant de constater qu'alors que l'élastique de la fiscalité et de la taxation est tendu à son maximum, tout comme l'endettement des particuliers et de l'État, des élus puissent se tourner massivement vers la tarification pour continuer de ponctionner de l'argent que les contribuables n'ont pas. L'idée d'isoler Montréal avec des péages sur tous les ponts d'accès à l'Île ne servira qu'à accélérer la désertion de ses habitants et de ses entreprises vers les banlieues. Un péage sert généralement à payer l'infrastructure qui en est l'objet et bien sûr, son entretien, qu'il s'agisse d'un pont ou d'un segment d'autoroute. Non seulement les automobilistes payent-ils des taxes à l'achat d'une voiture et les Montréalais plus que d'autres, mais ils en paient en l'immatriculant, en faisant le plein d'essence et en stationnant leur véhicule à un tarif usuraire, sans parler des contraventions, qui comme chacun sait, sont en grande partie une taxe déguisée. Ces automobilistes sont également les mêmes qui paient des impôts, des taxes foncières et scolaires. Si on continue dans cette logique, les automobilistes Montréalais n'auront tout simplement plus les moyens de rouler. Si c'est l'objectif, qu'on le dise. Que le transport collectif enregistre des records d'affluence, c'est tant mieux ! Mais comment se fait-il alors qu'on n'ait jamais assez d'argent pour le moderniser?

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital inc., société d'investissement privée.



FAISONS APPEL AU PRIVÉ



Avant de parler de financement, on devrait parler du rôle que pourrait jouer le privé pour épauler le développement du transport collectif à Montréal. Le type de gestion entièrement public qui a cours à Montréal est de plus en plus abandonné dans les grandes métropoles du monde.  Par exemple, dans le modèle de gestion déléguée, l'autorité publique garde le contrôle des lignes, des horaires, de la fréquence des départs, des tarifs que paient les usagers, des revenus générés et des indicateurs de qualité et de satisfaction de la clientèle. Par contre, c'est le privé qui fait rouler les bus ou les métros. On retrouve des partenariats avec le privé notamment à Londres, en France, au Danemark et en Suède. À Londres, grâce à la réforme, les coûts par km parcouru ont été réduits - entre 1986 et 1998 et après prise en compte de l'inflation - de 42 %, tout en permettant une augmentation du service de plus de 30% et de l'achalandage de plus de 11%.  Mais au Québec, on vit avec les oeillères du modèle québécois et on se prive de l'innovation et de l'efficacité qu'apporteraient des solutions basées sur le marché et la concurrence.

Adrien Pouliot

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



POUR FAIRE DE VÉRITABLES GAINS



Le développement des transports publics devrait faire partie des plans stratégiques à long terme des régions urbaines. Ces plans stratégiques impliqueraient des choix spécifiques pour l'ensemble de principaux services publics ainsi que leur budget d'opération et d'investissement. Il me semble important de planifier conjointement le développement des divers réseaux de transport (routes, voies navigables, voies ferrées et par air; transport des biens, transport privé des personnes et transport collectif). Présentement, on fait ce type de planification sur un horizon trop court et surtout d'une façon trop morcelée, ce qui réduit la possibilité de réaliser des gains d'efficacité et d'efficience.  Par exemple, c'est dans un tel contexte qu'on peut mieux faire le choix entre moins de routes pour les automobiles et plus de transport collectif ainsi que le choix de réduire l'étalement urbain. Tout en utilisant de façon optimale le principe de l'utilisateur payeur, les autres revenus devraient alors venir des revenus généraux des administrations publiques. L'idée de prendre certains revenus spécifiques (comme les revenus provenant de la taxe sur l'essence) pour subventionner un mode certain mode de transport reflète, en partie, la difficulté des administrations publiques de bien gérer sur un horizon relativement long et de ne pas succomber aux pressions du court terme.  Le manque d'entretien chronique de nos infrastructures collectives est un très bon exemple de cette difficulté. De plus, l'absence d'un véritable plan stratégique va faire en sorte que l'apport de fonds provenant de certaines sources spécifiques de revenus pourra être compensé par une réduction des fonds provenant des revenus généraux des administrations publiques. Ce qu'on donnera d'une main à grand renfort de publicité sera retiré progressivement et discrètement parce que les dirigeants politiques auront d'autres priorités à court terme.

Jean-Pierre Aubry

François Bonnardel

Député de Shefford.



NE PÉNALISONS PAS LES MONTRÉALAIS



N'importe quelle solution sur le financement du transport collectif à Montréal devrait éviter d'alourdir le fardeau fiscal des Montréalais. En 2010, le gouvernement libéral a incité Montréal à augmenter la taxe sur l'essence de 3 cents pour financer le transport collectif. La Ville a également instauré une taxe sur l'immatriculation de 45$ dans le même objectif. Ajouter des péages partout sur le territoire de la métropole ne ferait qu'ajouter une pression supplémentaire sur les contribuables, qui en ont déjà plein les bras et qui devront, en plus, supporter le régime de retraite des 47 000 employés et retraités de la ville pour une somme de 540 m$ en 2012. Pas étonnant de constater que sur la période 2006-2010, c'est à Montréal (2,2%) que la croissance annuelle moyenne du revenu personnel disponible est la plus faible. Pendant ce temps, les Montréalais continuent d'assister au triste spectacle des dépassements de coûts dans leurs infrastructures de transport. L'exemple le plus récent est le fiasco du train de l'Est qui a vu ses coûts passer de 300 à 710 millions en cinq ans et qui est le résultat d'une gestion déficiente de Joël Gauthier, un proche de Jean Charest qui a été nommé à la tête de l'AMT uniquement pour des raisons partisanes.

photo archives La Voix de l'Est

François Bonnardel

Léo Bureau-Blouin

Président de la Fédération étudiante collégiale du Québec.



TARIFER LES TRANSPORTS POLLUANTS



Prendre le métro à Montréal aux heures de pointe relève de plus en plus du défi. On se croirait parfois en Inde ou les agents de sécurité poussent les passagers pour faire de la place à ceux qui arrivent. Tous s'entendent pour dire qu'il faut investir, mais comment? La priorité de la Société de transport de Montréal devrait être de garantir l'accessibilité au service tout en assurant la qualité du transport collectif. Pour y arriver, il faut éviter les augmentations de tarifs auxquelles nous a habitué la STM. Pour assurer le développement du transport collectif, il serait donc plus juste de tarifer les modes de transport polluants pour financer le transport collectif. En ce sens, l'utilisation d'une plus grande part des recettes provenant de la taxe sur l'essence est une avenue qui devrait être considérée. Les surplus émanant de la nouvelle bourse du carbone qu'a promis le gouvernement Charest pourrait également servir à augmenter l'offre de services. Le développement de nouveaux modes de transports collectifs moins coûteux que le métro pourrait également faire partie des solutions. Chose sûre, il faut agir vite avant que l'utilisation des transports collectifs ne devienne une discipline olympique.