Le gouvernement Harper songe à modifier le régime de prestations de la Sécurité de la vieillesse pour en assurer la viabilité à long terme. Aurait-il raison de le faire? Si oui, comment devrait-il s'y prendre? En haussant l'âge d'admissibilité de 65 à 67 ans, par exemple? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Paul Daniel Muller

Économiste .



APRÈS LES BOOMERS, LE DÉLUGE



L'augmentation de l'âge normal de la retraite est une mesure sensée, juste et, surtout, urgente. 1) Sensée parce que l'espérance de vie s'est allongée d'une décennie par rapport à l'époque de l'après-guerre lorsque les premiers programmes sociaux visant la retraite ont été mis sur pied. À l'époque, ces programmes ont été conçus pour payer le coût de la vie pendant seulement 5-10 années de retraite avant l'âge de décès moyen; maintenant c'est 15-20 ans. 2) Juste, parce qu'en l'absence de cette augmentation du seuil, les baby-boomers seraient exemptés de leur responsabilité d'assumer une part du coût associé à l'allongement de l'espérance de vie, tandis qu'ils en tirent bien sûr un bénéfice. 3) Urgente, parce que les premiers boomers, nés vers 1945, ont atteint l'âge de 65 ans en 2010. Si l'augmentation de l'âge normal de la retraite est étalée de manière à atteindre 67 dans 10 ans, par exemple, la plupart des cohortes de boomers auront été exemptés de son plein effet. Comme pour le problème de l'endettement public, leur stratégie implicite consiste à retarder (par le déni du problème et la tergiversation) la mise en oeuvre des solutions désagréables afin de se soustraire autant que possible à leurs effets. Après eux, le déluge: les X et les Y paieront la note.

Paul-Daniel Muller

Mélanie Dugré



Avocate.



UNE CAMPAGNE DE PEUR



En ce qui concerne le fond de ce projet, l'imposante publicité faite sur le vieillissement de la population et les conséquences désastreuses de ce phénomène démographique sur la productivité de notre société pourrait nous permettre de légitimement croire que hausser l'âge d'admissibilité à la retraite soit nécessaire et inévitable. Cependant, le gouvernement Harper se cache derrière un écran de fumée selon les experts fiscalistes consultés sur la question. En effet, non seulement le coût des régimes de retraite publics représente moins de 5% du produit intérieur brut du pays mais dès 2030, soit au moment où le nombre de retraités atteindra son apogée, cette proportion sera à la baisse. Je doute donc que le statu quo mène le Canada vers la faillite. Quant à la forme qu'a choisie le gouvernement Harper pour diffuser son intention, elle ne peut qu'être vivement condamnée. Cette idée, lourde de conséquences pour une partie importante de  la population, est apparue comme un lapin qui sort d'un chapeau. Par son actuelle campagne de peur, le gouvernement Harper aura réussi à insécuriser et terroriser des milliers de citoyens qui, après des années de valeureuse contribution à la société, méritent de profiter de la vie en toute sérénité.



Mélanie Dugré

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP.



UNE SAGE DÉCISION



Électoralement, les conservateurs jouent gros en annonçant une réforme du régime de prestations de la Sécurité de la vieillesse. C'est malgré tout une sage décision: vaut mieux s'y attaquer maintenant que de frapper le mur à long terme. On a beau argumenter qu'une réforme du régime n'était pas prévue au programme électoral des conservateurs, il reste que le financement des régimes de retraite est une préoccupation qui touche la plupart des pays occidentaux. Les solutions passent inévitablement par l'augmentation de l'âge de la retraite, la diminution des prestations ou l'augmentation des cotisations (si ce n'est les trois à la fois). Le problème de financement à long terme de nos fonds de pension est d'abord et avant tout comptable. J'en conviens avec vous, les comptables ne sont pas particulièrement «sexys»... encore moins leurs solutions. C'est pourquoi le principal obstacle à cette réforme sera politique. En politique, il n'y a jamais de bon moment pour amorcer une réforme qui risque de mettre fin aux privilèges des boomers qui aspiraient à se faire payer une retraite par les générations futures. Malheureusement, à la prochaine élection, les vrais gagnants de cette réforme n'auront pas tous l'âge de voter pour exprimer leur gratitude au Parti conservateur. Les perdants, par contre, auront toute la latitude voulue pour jouer aux victimes d'un gouvernement idéologique et sans compassion.

Pierre Simard

Daniel Gill

Professeur agrégé à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.



DES IMPACTS INÉVITABLES



Le vieillissement de la population est l'enjeu le plus important auquel devra faire face l'ensemble des pays occidentaux. Compte tenu de l'ampleur du baby-boom québécois et des faibles taux de fécondité qui ont suivi, le Québec fera partie des endroits où les impacts seront les plus significatifs. D'ici 2031, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus va augmenter de près de 1,2 million pendant que la population active diminuera d'environ 60 000. Dans un tel contexte, il est à se demander comment nous pourrons répondre à des besoins toujours plus importants alors que la population en mesure de les financer va décroître. Il est évident que les générations à venir ne pourront supporter un fardeau que les baby-boomers même avec leur grand nombre n'ont pu supporter qu'en ayant recours à un endettement massif. Aux coûts de retraite viendront s'ajouter les coûts de santé et du fardeau de la dette qui ne cesseront  de croître. Toutes les solutions devront être non pas envisagées, mais utilisées. Inévitablement, il faudra hausser les cotisations, reporter l'âge de la retraite, et assurément augmenter les impôts, et probablement privatiser certains services, et ce,  sans avoir l'assurance que les personnes âgées que nous serons pourront vivre et mourir dans la dignité.

Daniel Gill

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires. 



J'ai 50 ans. Je travaille comme préposé aux bénéficiaires depuis bientôt 29 ans. Je ne m'imagine pas travailler dans ce métier exigeant physiquement jusqu'à 67 ans. Je me vois mal faire marcher mes patients alors que je circule en marchette! La retraite à cet âge pourra peut-être s'appliquer pour des métiers ou des professions qui demandent moins d'efforts physiques, comme les élus qui nous proposent cet avenue irréaliste. En passant, qu'arrivera t-il aux élus qui démissionnent? Auront-ils toujours droit à de généreuses primes de départ? Et ceux qui prendront leur retraite verront-ils leurs prestations amputées s'il quittent avant 67 ans? Permettez-moi d'en douter. Parions aussi que si M. Harper va de l'avant avec l'imposition de la retraite à 67 ans, le Québec harmonisera aussi son régime de prestations en conséquence. Je crois que la pression populaire et le rêve de réélection à tout prix feront reculer Stephen Harper.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



PENSER, CONSULTER ET PLANIFIER AVANT D'AGIR



Avant de faire quoi que ce soit, le gouvernement Harper doit bien analyser sur une période de 30 à 50 ans la question des régimes publics de pension dans son ensemble (Sécurité de la vieillesse (SV), Supplément de revenu garanti (SRG), le Régime de pension du Canada (RPC) et le Régime des rentes du Québec). Cela nécessitera de faire le point aussi sur les revenus de retraite des Canadiens, incluant ceux venant des régimes privés de retraite. Il devra consulter les gouvernements provinciaux qui pourraient être affecter par les diverses mesures qu'il pourrait prendre. Par exemple, hausser l'âge d'éligibilité à la SV et au SRG, aurait des répercussions sur les dépenses d'assistance sociale des provinces. Il devra considérer la part des dépenses fédérales qu'il veut consacrer à long terme aux transferts aux particuliers qui incluent les transferts aux aînés (SV +SRG), les prestations d'assurance emploi et les prestations pour enfants. Il est probable qu'une croissance moins grande de deux derniers types de transferts facilite l'absorption de la hausse des transferts aux aînés. Finalement, il devra tenir compte du fait que la SV et le SRG sont extrêmement importants pour une population très vulnérable, celle des aînés à très faible revenu. Réduire le pouvoir d'achat de ceux-ci doit être une décision qui devrait refléter une situation budgétaire extrêmement difficile presque catastrophique. Or, ce n'est pas du tout le cas pour Canada. Comme il n'y a pas de péril dans la demeure, le gouvernement Harper a bien le temps de penser,de consulter et de planifier avant d'agir.

Jean-Pierre Aubry

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal.



UNE TRANSITION NÉCESSAIRE



L'espérance de vie a déjà augmenté de quelques années depuis la mise en place du régime de prestations de la Sécurité de la vieillesse et continuera vraisemblablement d'augmenter au cours des prochaines décennies. Les personnes dans la soixantaine sont également de plus en plus en santé. Elles occupent de plus en plus des emplois de services moins exigeants sur le plan physique que ne l'était un travail agricole, ou dans une usine il y a 50 ans. Dans ce contexte, il est normal que l'on songe à reporter l'âge d'admissibilité à un programme visant à leur assurer un revenu minimum. Toutefois, il est important de ne pas modifier les prestations des personnes déjà à la retraite ou susceptibles de l'être très prochainement. Au contraire, il faut donner aux futurs retraités qui seront touchés par ce changement une période de transition suffisante pour se préparer. C'est ce qu'a fait par exemple l'Allemagne, où l'âge d'admissibilité passera graduellement de 65 ans en ce moment à 67 ans en 2030. Au Royaume-Uni, on prévoit même déjà repousser à 68 ans l'âge d'admissibilité aux «State pensions». Ce changement s'opérera complètement chez les Anglais à partir de... 2046! Bref, plus nous agirons tôt et plus nous serons en mesure d'opérer ce changement de façon douce et graduelle.

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Michel Kelly-Gagnon