Devrait-on rouvrir le débat sur la peine de mort? Y a-t-il des situations où la peine capitale pourrait s'appliquer, par exemple lorsqu'un meurtrier n'a aucune chance de réhabilitation, comme le suggérait hier le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



NON MERCI!



Chaque fois que les médias nous rapportent des crimes crapuleux, nos émotions prennent rapidement le dessus, surtout lorsqu'il s'agit de crimes commis par des pédophiles. Ma première réaction, et je peux vous dire qu'elle est spontanée: qu'attend-on pour zigouiller ces criminels? Mais réagir viscéralement peut nous conduire à commettre des erreurs que l'on regretterait éventuellement. Le Canada a aboli la peine de mort et je n'accepterais pas de revenir en arrière. Il n'est pas question non plus de ne réserver la peine capitale qu'à certains crimes seulement. Je serais davantage enclin à isoler les meurtriers les plus violents de tout contact humain lorsqu'il y a peu de chances de réhabilitation. Tout comme je ne permettrais pas à un meurtrier qui en a pris pour la perpétuité d'obtenir une quelconque libération conditionnelle lorsqu'il y a eu mort d'homme ou encore crime sexuel. Qui sommes-nous pour décider d'enlever la vie à un criminel parce qu'il a commis une faute grès grave et impardonnable? Vouloir la peine de mort tient plus de la vengeance «oeil pour oeil, dent pour dent», que d'une justice respectueuse de nos valeurs.

Jean Gouin

Sébastien Grammond

Doyen de la section de droit civil de l'Université d'Ottawa.



ILLÉGAL?



Même si l'on voulait rétablir la peine de mort, pourrait-on légalement le faire? En 2005, le Canada a ratifié le Protocole international visant à abolir la peine de mort. Il a donc rejoint un grand nombre de pays qui ont pris l'engagement international de ne plus exécuter qui que ce soit, même dans des «cas exceptionnels». De plus, dans une décision rendue en 2001 au sujet de l'extradition aux États-Unis de présumés criminels qui y risquaient la peine de mort, notre Cour suprême a affirmé que dans la grande majorité des cas, le Canada ne devait procéder à une extradition que si les États-Unis s'engageaient à ne pas appliquer la peine de mort. Même si la Cour n'était pas appelée à se prononcer sur la validité de la peine de mort au Canada, ses motifs suggèrent fortement qu'elle statuerait que le rétablissement de la peine de mort est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés. Sur le plan des principes, les raisons invoquées pour abolir la peine de mort en 1976 tiennent toujours : elle est contraire au droit à la vie, elle n'a pas d'effet dissuasif supérieur à la prison et elle rend impossible la correction des erreurs judiciaires.

Sébastien Grammond

Jana Havrankova

Endocrinologue.



OUI, DANS DES CAS RARISSIMES



La déclaration du sénateur Boisvenu était inopportune, il l'a d'ailleurs reconnu. Le sujet de la peine de mort est extrêmement délicat, d'autant plus que les projets législatifs du gouvernement fédéral s'avèrent déjà inutilement répressifs rendant l'atmosphère d'un hypothétique débat tendue. Toutefois, parler de la peine de mort ne devrait pas rester tabou. Chaque fois que j'y réfléchis, je pense à Paul Bernardo et à Clifford Olsen. Des crimes épouvantables, aucun motif sauf le sadisme, aucun doute quant à la culpabilité de l'assassin. De rares, de rarissimes, personnes existent qui par leurs gestes criminels, innommables, se sont exclues de la société des humains. La peine de mort me semble alors justifiée. Attention! Il s'agit là d'infimes exceptions, comme les meurtriers en série. Le juge devrait-il pouvoir appliquer la peine de mort dans ces cas-là? Il est probablement naïf de penser que seulement les cas où la culpabilité est établie hors de tout doute et où le crime ne peut trouver aucune explication moindrement recevable seraient frappés d'un tel verdict. Le risque de dérapage et d'erreur judiciaire demeurera. Il est plus que probable qu'on préférera garder cette boîte de Pandore fermée.

Jana Havrankova

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc, ex-PDG de la SAQ et de Loto-Québec.



AUCUNE RAISON



Le débat sur la peine de mort est mort de sa belle mort en 1976 au Canada. Le Parlement canadien en était arrivé à cette sage décision après plusieurs années de débats acrimonieux. Parmi les raisons qui avaient motivé ce choix de nos élus, deux d'entre elles ressortaient. D'une part, il y avait toujours un risque de condamnation erronée, dans lequel cas il était évidemment trop tard si le déclaré coupable avait été pendu. D'autre part, il avait été démontré que la peine de mort n'était pas un moyen de dissuasion. Aujourd'hui, quelque 35 ans plus tard, je ne vois aucune situation où la peine de mort pourrait s'appliquer à nouveau, et cela inclut le meurtre d'un policier et lorsqu'un meurtrier n'a aucune chance de réhabilitation. Et lorsqu'un sénateur comme Pierre-Hugues Boisvenu nous apporte des arguments économiques, comme le fait que la condamnation à vie des Shafia va coûter au-delà de 10 millions de dollars à l'État, il devrait expliquer alors son soutien au projet de loi fédéral C-10 sur les jeunes contrevenants qui, lui, va coûter des milliards de dollars supplémentaires au gouvernement du Québec au cours des prochaines années. Et comme ce projet de loi, en plus de son coût exorbitant, va contre le principe de réhabilitation, j'aimerais bien savoir ce que le sénateur Boisvenu a en tête.

PHOTO FOURNIE PAR GAÉTAN FRIGON

Gaétan Frigon.

Léo Bureau-Blouin

Président de la Fédération étudiante collégiale du Québec.



UN DÉBAT CLOS



Au fil du temps, les sociétés se sont rendu compte que la peine de mort n'était ni morale ni efficace. Une communauté d'individus ne devrait pas avoir le pouvoir de retirer la vie à un des membres du groupe. Ce type de pratique laisse place à des abus et n'est pas digne d'une société qui croit en la réhabilitation. Certains prétendent que la peine de mort pourrait sauver des sous. Or, plusieurs études américaines ont démontré que la peine de mort était trois fois plus coûteuse que la prison à vie. Les criminalistes s'entendent également pour dire qu'il ne s'agit pas d'une mesure dissuasive. En effet, la peine capitale ne permettrait pas de réduire le taux de criminalité. Il s'agit donc d'un débat clos sur lequel nous ne devrions pas revenir. Il ne faut pas laisser l'esprit de vengeance prendre le dessus sur la raison et la justice. La vie humaine est sacrée et le meurtre est inacceptable qu'il soit commis par un individu seul ou par un tribunal.

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP.



NON À LA TYRANNIE



Certains crimes méritent-ils la peine de mort? Là n'est pas la question. La vraie question est de savoir si la peine de mort a sa place dans une société comme la nôtre. Ma réponse est non. Pourquoi? Parce que la peine de mort est l'arme de prédilection des tyrans. Ça ne peut être celle d'une société libre et démocratique reposant sur les responsabilités individuelles. Imaginez qu'on exécute un criminel dans le contexte d'une erreur judiciaire: qui en sera tenu responsable? Le juge, le bourreau, le policier chargé de l'enquête? Nous vivons dans un État de droit où personne n'est censé être au-dessus des lois et où chacun doit être responsable de ses actes. La réintroduction de la peine de mort équivaudrait à favoriser le retour d'une caste de despotes investis du pouvoir d'exécuter un individu sans avoir à en assumer la responsabilité. Certains croient que la peine de mort est un moyen de dissuasion à l'endroit des criminels dangereux. D'autres qu'exécuter un criminel en série mettra la population à l'abri d'une récidive. Ils n'ont probablement pas tort... mais on peut sans doute parvenir aux mêmes résultats sans avoir à emprunter la route de la tyrannie.

Pierre Simard

Jean-Claude Hébert

Avocat.



HORS-JEU



Le sénateur Boisvenu parle des deux coins de la bouche. Il disait hier être contre la peine de mort... sauf dans certains cas. Il a déjà formulé l'hypothèse suivante: «Ne pourrait-on pas placer ces irréductibles (i.e. les grands assassins) devant un choix cohérent avec leur attitude et conséquent envers la collectivité: ou ils acceptent une peine de 50 ans de prison sans possibilité de libération, de façon à éviter toute nouvelle récidive, ou ils choisissent délibérément la peine de mort». À propos de l'abolition de la peine de mort en 1976, il a aussi dit: «Quarante ans plus tard, et surtout à la suite du meurtre crapuleux de ma fille aînée aux mains d'un récidiviste, je suis persuadé que les Canadiens se font fait avoir par les politiciens.» Comment peut-il logiquement prétendre être contre la peine de mort...mais pas tout à fait? Porte-parole au Québec du gouvernement conservateur en matière de justice, le sénateur devrait avoir le courage de se mettre hors-jeu.

Photo: André Pichette, Archives La Presse

Jean-Claude Hébert

Raymond Gravel

Prêtre.



M. BOISVENU DEVRAIT SE TAIRE



Depuis qu'il est sénateur, Pierre-Hugues Boisvenu se croit investi d'une autorité qu'il est le seul à reconnaître. Comme le disait bien la députée de Joliette, Véronique Hivon, mercredi, le sénateur Boisvenu n'est pas représentatif de la population québécoise en matière de justice. Qu'il ait été choisi comme représentant francophone, concernant la loi C-10, il s'agit d'une nomination strictement partisane d'un gouvernement conservateur qui n'a même pas obtenu 10% d'appui au Québec. J'entendais M. Boisvenu dire à Michel Desautels de Radio-Canada que ce n'était pas le Parti québécois qui l'avait nommé à ce poste; il faudrait aussi ajouter que ce n'est pas non plus la population qui l'a choisi pour parler en son nom. Dans les circonstances, je crois sincèrement qu'il aurait intérêt à se faire discret lorsqu'il se prononce sur des sujets aussi délicats que la réhabilitation des criminels ou le retour possible de la peine capitale. Revenir à la peine capitale pour certains criminels que M. Boisvenu dit être non récupérables ou leur remettre une corde pour qu'ils puissent eux-mêmes se pendre, c'est irresponsable, barbare et indigne de la part de quelqu'un qui occupe une fonction au Sénat. Il est vrai que le prix à payer pour un détenu dans un pénitencier est très élevé; c'est pourquoi, il nous faut travailler à la réhabilitation et à la responsabilisation au lieu de la punition. Personnellement, je préfère investir pour aider les criminels à sortir du cercle vicieux de la criminalité que de payer des salaires faramineux à des personnes dont la fonction au Sénat est inutile et très coûteuse.

Raymond Gravel

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne.



LA PRISON À VIE ÉQUIVAUT À UNE PEINE DE MORT



Des crimes horribles sont commis envers des êtres sans défense et méritent d'être punis. Notre système judiciaire prévoit, à l'endroit d'individus reconnus coupables d'actes répréhensibles, l'application d'une peine d'emprisonnement. Au cours de leur détention, tout sera mis en oeuvre pour favoriser leur réhabilitation. Mais ces efforts, certes louables, ne rendront pas la vie aux victimes de meurtre. De plus, certains criminels continueront à représenter un danger pour la population.  Il est nécessaire d'intensifier le travail de prévention en soumettant les remises en liberté à des examens plus rigoureux et en administrant des soins aux personnes souffrant de maladie mentale. Par-dessus tout, la société doit veiller à ce que ses enfants s'épanouissent dans un environnement sain que ce soit à la maison, en famille d'accueil ou à l'école, car prévenir sera toujours plus profitable que de guérir.

Mélanie Dugré

Avocate.



CHOQUANT



Je pense que la vie doit être faite de nuances. Je crois à la pertinence des débats, à l'utilité des discussions, au pouvoir de persuasion et au droit, que nous avons tous, de changer d'idée. Les opinions tranchées et catégoriques sont souvent de bien mauvaises conseillères et les jugements à l'emporte-pièce nous font inévitablement reculer. Il existe néanmoins des sujets qui doivent faire entorse à ces principes et qui appellent des prises de position sans possibilité de négociation. La peine de mort en est un. Cette idée désuète et rétrograde n'a pas sa place dans une société démocratique comme la nôtre et va l'encontre des droits et libertés fondamentaux que nous avons volontairement enchâssés dans nos chartes et lois parce qu'ils représentent les valeurs que nous souhaitons protéger collectivement. Morale de l'histoire? Derrière toute la dentelle dont les conservateurs ont pu se parer lors de la dernière campagne électorale pour charmer et séduire les citoyens, se cache un gouvernement foncièrement de droite qui, bien sournoisement, tente de remettre à l'agenda des idées qui, elles aussi, sont bien campées à droite. Aussi choquantes que soient les paroles qui ont été prononcées, nous serions bien naïfs de nous en étonner.

Mélanie Dugré

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



RECHERCHE DE VENGEANCE



Compte tenu des circonstances horribles et tragiques de la mort violente d'une de ses filles, on ne peut s'empêcher de partager la grande douleur que vit le sénateur Boisvenu. Considérant les souffrances que cet homme peut vivre, on peut légitimement remettre en question son impartialité vis-à-vis des questions entourant les crimes contre la personne et le châtiment que la société devrait faire subir à ceux qui les commettent. Objectivement, il faut se demander si la peine de mort n'est pas davantage une recherche de vengeance plutôt que de justice. Il est, depuis fort longtemps, démontré que la peine de mort ne sert en rien à faire diminuer le taux de criminalité ou de crimes violents. Nos voisins du Sud en fournissent un exemple éloquent. Dans plusieurs juridictions, la peine de mort sert plus souvent à oppresser le peuple et à réprimer la dissension qu'à endiguer la criminalité. On ne peut certainement pas parler d'un idéal de justice. L'application de la loi du Talion (oeil pour oeil, dent pour dent) n'a plus sa place dans une société civilisée. Si on respecte la vie, il est plutôt paradoxal de vouloir donner la mort.

Denis Boucher

Francine Laplante

Femme d'affaires.



POUR LES CRIMES SORDIDES



Je crois que les personnes qui sont totalement contre la peine de mort n'ont jamais été confrontées directement à un crime sordide. Bien peu de gens peuvent prétendre que l'envie de voir mourir l'agresseur ne leur viendrait pas à l'esprit que si leur propre enfant était victime d'un meurtre crapuleux, assorti d'une agression sexuelle! À mon avis, il y a un certain nombre de délinquants irrécupérables, les tueurs en série par exemple. Est-ce que la peine de mort dans des situations extrêmes pourrait être une option? Je pense que oui. Sinon, peut-on m'assurer hors de tout doute raisonnable que ces dépravés finis ne se retrouveront pas un jour libres de recommencer sur un autre enfant, une autre femme, un autre homme? Comment évaluer la valeur de la vie d'un meurtrier qui a lui-même délibérément enlevé la vie à un innocent? Je n'ai pas encore trouvé une réponse satisfaisante à cette question. Moi, quand je mets leur vie sur un côté de la balance et que de l'autre je mets celle de leurs victimes, il me semble que ça penche d'un côté plus que de l'autre...