Si elle est portée au pouvoir, la Coalition avenir Québec entend rouvrir les conventions collectives des enseignants et les ententes avec les médecins. Ses intentions provoquent une levée de boucliers. A-t-on raison d'avoir peur de la CAQ? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, chargé de cours à HEC Montréal et enseignant au Cégep régional de Lanaudière.



LE PRIX DE L'INERTIE



Pour la première fois depuis des années, un parti s'amène avec l'idée de toucher à notre inertie. En physique, il y a ce qu'on appelle le coefficient de frottement statique. Celui-ci est élevé dans notre société québécoise, nous sommes si habitués à notre inertie, que toute menace de déplacement nous effraie. En fait, nous ne devrions pas avoir peur que la CAQ bouscule nos habitudes de confort, nous devrions plus avoir peur que le prochain parti au pouvoir continue sur la lancée de ses prédécesseurs : la stagnation. Le monde dans lequel on vit ne cesse d'évoluer depuis des décennies, mais le Québec est statique dans son modèle d'affaires. L'industrie manufacturière est le passé du Québec, si notre province veut survivre, elle doit absolument se tourner vers l'économie du savoir. Pour ce faire, il faut redonner ses lettres de noblesse à l'enseignement. Pour ma génération, le baccalauréat en enseignement est souvent perçu comme une formation facile à obtenir. Contrairement à autrefois, ce ne sont plus les «stars» qui se pointent à l'admission du programme. La revalorisation de l'éducation ne se limite pas au secteur de l'enseignement, les parents y sont pour beaucoup. Du côté des médecins, nous nous sommes créé un système nous mettant à leur merci. Former un médecin coûte cher, c'est vrai. Toutefois, le fait de limiter le nombre d'admissions à l'université et de privilégier les étudiants avec la cote «R» la plus élevée crée une surestimation de la valeur marchande des médecins: phénomène de rareté. Les médecins sont des employés de l'État, arrêtons de les traiter comme des travailleurs autonomes: ce n'est pas le cas. Le PLC et le PQ sont inertes: je n'aime pas l'inertie. Pour l'instant, je donne encore la chance aux coureurs de la CAQ.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale.



UNE SOURCE D'AGITATION SOCIALE



Il semble que faute d'un programme complet qui aurait passé le test des débats militants comme dans les autres partis, la vision de François Legault s'égrène à la pièce et s'arrête d'abord aux changements de structures et au détricotage des acquis sociaux. Car l'abolition des agences de santé et des commissions scolaires et la réouverture des conventions et ententes fraîchement signées avec les enseignants et les médecins risquent de déboucher davantage sur des perturbations sociales sévères que sur un changement salutaire. Qui croira que les médecins voudront de bon gré revoir leurs conditions sinon pour les améliorer encore en termes de rémunération? En éducation, séparer les bons profs des mauvais est certes une entreprise vertueuse, mais les élèves seront sans doute les victimes collatérales de cette entreprise.  Sans parler des nouveaux milliards que coûteront ces batailles et que nous n'avons pas. Et pourquoi François Legault n'a-t-il pas fait ces réformes  lorsqu'il a été tour à tour ministre de l'Éducation et de la Santé? Bien sûr, c'était l'époque où sa priorité était le budget de l'an 1 de l'indépendance ! En ces temps économiques incertains, le Québec a-t-il besoin de ce qui sera une guerre de tranchées? Les conventions collectives contiennent trop de rigidités et pas assez de souplesse, mais le moment de les revoir arrivera à leur échéance.

Antonin-Xavier Fournier

Professeur de sciences politiques au cégep de Sherbrooke. 



DÉBAT PERTINENT, MÉTHODE RISQUÉE



Avouons-le d'emblée, François Legault a le courage de provoquer un débat d'idées intéressant et soulève des questions qui ont depuis trop longtemps été occultées par nos gouvernants. Pensons, entre autres, à la valorisation de la profession enseignante, à la situation précaire des finances publiques ou encore à la réorganisation des structures héritées de la Révolution tranquille. Sur tous ces sujets, François Legault fait preuve d'un certain leadership réformateur en rupture avec le discours des politiciens traditionnels en général frileux à l'idée de bousculer les citoyens. La volonté de rouvrir les conventions collectives des enseignants et de revoir l'entente avec les médecins omnipraticiens s'inscrit d'ailleurs dans cette perspective. Si les débats lancés par la CAQ sont pertinents, la méthode utilisée jusqu'à présent laisse présager un manque d'instinct politique. En effet, à vouloir trop en faire, trop rapidement, la CAQ risque de se marginaliser, ce que laissent d'ailleurs présager les sondages d'opinion où la CAQ est passé de 48% d'appui à la fin de l'été 2011 à 31% au cours des dernières semaines. N'en déplaise à l'équipe Legault, l'État ne ressemble en rien à l'entreprise privée et l'éducation comme la santé ne peuvent être évaluées selon des critères de performance hérités du «public management».

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse.



DE FAUX PROBLÈMES



On a raison d'avoir peur de la CAQ parce que les engagements de François Legault ne visent pas les bonnes cibles. Depuis plusieurs années, les déboires de l'économie pointent tous dans les mêmes directions : abus de pouvoir des dirigeants d'entreprises qui fraudent les investisseurs et les gouvernements; spéculateurs insatiables qui inventent des produits comme le papier commercial pour s'enrichir au détriment de la stabilité économique des marchés financiers; administrateurs véreux qui se sauvent avec la caisse; financiers qui paient moins d'impôt que leur secrétaire; travail au noir; banques qui font des profits indécents par l'endettement de la population, etc. Et que propose la CAQ pour remédier à tous ces maux? Rouvrir les conventions collectives qui viennent à peine d'être signées au prix de maintes concessions des syndiqués. Pourquoi M. Legault propose-t-il des solutions là où ne sont pas les vrais problèmes de la société québécoise? Parce que cela va faire moins mal aux amis investisseurs du parti et que cela est politiquement rentable. On aime taper sur les réseaux de la santé et de l'éducation, même si ces réseaux vont souvent mieux qu'ailleurs dans le monde. Les résultats dans les concours internationaux en éducation comme ceux administrés par l'OCDE (l'enquête PISA) placent depuis plusieurs années les élèves du secondaire du Québec parmi les premiers de classe, tant en lecture et en écriture qu'en mathématiques et en sciences. Bref, la CAQ fait peur parce que ses dirigeants sont populistes et ne proposent pas de solutions aux vrais problèmes qui accablent la société québécoise.

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



ÊTRE OUVERT AU CHANGEMENT



Il ne faut pas avoir peur du changement. Le changement est un moteur de progrès et le Québec en a bien besoin. Il faut se rendre à l'évidence que les finances de la province sont mal en point et qu'il faut sérieusement remettre en question nos façons de faire si l'on ne veut pas se retrouver un jour comme la Grèce, l'Espagne ou d'autres administrations européennes. Ce qui devrait nous inquiéter est de constater que des formations politiques ne suggèrent pas de nouvelles idées et que l'immobilisme semble être perçu comme une solution. Peu importe le parti ou que l'on soit d'accord ou non avec les solutions proposées, le mérite d'ouvrir des débats est de susciter des discussions. Osons espérer que cela permette d'arriver à des approches pragmatiques qui se traduiront par des services que les québécois veulent mais aussi peuvent se payer. Personne n'a le monopole de la vérité et, en ce sens, il faut être ouvert à ce qui peut être mis de l'avant, encore une fois par n'importe quel parti, afin d'améliorer le sort de la population. Cette dernière aura tout le loisir d'accorder son appui ou de signifier son désaccord au prochain scrutin.

Denis Boucher

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée.



SOLUTION VOUÉE À L'ÉCHEC



Si M. Legault ne réussit pas à négocier à l'amiable les changements qu'il propose et si les conventions collectives ne contiennent pas de clause de réouverture, c'est à une loi spéciale qu'il devra recourir pour imposer ses réformes. Une telle loi sera sans doute contestée devant les tribunaux et démotivera les enseignants à mieux enseigner et les médecins de famille à prendre plus de patients. Mais il faut craindre la CAQ plus pour ses positions que pour les moyens qu'elle compte prendre pour les atteindre. M. Legault pense naïvement que les 50 milliards $ dépensés dans nos réseaux public d'éducation et de santé ne sont pas suffisants et qu'il peut les rapiécer en augmentant ces dépenses de 1,6 milliard $ par année.  Mais voilà 30 ans qu'on «investit» (lire: qu'on dépense) toujours plus et pourtant, les services ne cessent de se détériorer. La vieille solution libéralo-péquiste du comptable Legault va échouer.  Il ne faut pas engraisser encore plus notre État obèse. Il faut plutôt le mettre au régime et trouver de nouvelles façons de fournir ces services en introduisant la concurrence et en faisant appel à l'entrepreneurship du capital privé et à la responsabilisation des usagers.

Adrien Pouliot

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial.



LES AMNÉSIQUES



Pauline Marois se scandalise que la CAQ veuille ouvrir les conventions collectives. Elle ne semble pas se souvenir (moi, je m'en souviens!) qu'en 1982, c'est le parti qu'elle dirige présentement qui, sans consulter personne, unilatéralement, a ouvert toutes les conventions collectives (enseignants, infirmiers, fonctionnaires) pour couper les salaires des employés de l'État de 20% et cela, sur une période de 3 mois. Qui était le négociateur en chef du gouvernement péquiste à l'époque? L'ancien premier ministre Lucien Bouchard. Qui dirigeait le gouvernement? Réné Lévesque, celui qui, deux ans auparavant, demandait aux Québécois de se séparer du Canada. Les députés du PQ, amnésiques dans les circonstances, disent que ceux qui espèrent remplacer l'administration actuelle, doivent respecter les contrats signés. Ils sont mal placés pour faire la leçon aux autres. Respecter les conventions signées? C'est exactement ce que le PQ n'a pas fait. René Lévesque, en reprenant le pouvoir après le référendum de 1980, n'avait jamais dit, au cours de la campagne électorale, qu'il n'allait pas respecter les conventions collectives des employés de l'État québécois. Et pourtant, il a fait ce que personne n'avait prévu: il a ouvert et renié les contrats signés. François Legault dit qu'il veut ouvrir les conventions, sans créer de chaos. Il veut faire cela dans l'harmonie, de gré à gré. Voilà ce qu'il dit qu'il veut faire. Le fera-t-il? Et s'il le fait, comment le fera-t-il? La campagne électorale lui donnera le moment de s'expliquer sur le sujet. Pauline Marois peut bien critiquer la façon de faire des autres, mais elle se garde bien de dire ce qu'elle ferait, si jamais le pouvoir lui est donné. Les citoyens sont en droit de savoir le chemin qu'elle prendra, une fois possiblement élue. Les citoyens, aux urnes, jugeront quel chemin ils doivent choisir après avoir vérifié les options offertes par les partis en lice.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE NESTOR TURCOTTE

Nestor Turcotte.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



AGIR PROGRESSIVEMENT POUR MIEUX RÉUSSIR



Oui, mais je dois dire que plusieurs aspects de la gestion du gouvernement Charest et du gouvernement Harper qui me font peur. Il en est de même certains items dans le programme de Québec Solidaire et dans celui du  PQ. Quand on veut faire des changements importants dans la gestion d'un gouvernement et même s'attaquer à des chasses gradées, faut-il procéder très rapidement? Ma préférence va aux changements graduels faits avec la coopération d'un maximum d'intervenants, à moins qu'il y ait une situation d'urgence ou à moins qu'on soit certain de la solution apportée, de la façon de le faire et des résultats. Présentement, les problèmes auxquels la CAQ veut s'attaquer sont importants, mais il n'y a pas une urgence nationale.  Par contre, la CAQ pourrait rapidement définir un plan d'intervention pour divers secteurs de la gestion des services gouvernementaux  (en éducation et en santé) et commencer leur mise en oeuvre. Il y a tant de choses à faire au niveau de l'évaluation de diverses situations, de la communication avec les employés de l'État et avec le public ainsi qu'au niveau de la mise en place de différentes solutions, sans qu'il soit nécessaire, à court terme, de rouvrir des ententes signées par le gouvernement. Par exemple, en éducation, il pourrait accroître l'autonomie financière des directeurs d'école ainsi que soutenir l'aide aux étudiants en difficulté et l'amélioration des infrastructures et de l'équipement. Procéder graduellement ne veut aucunement dire qu'il doit renoncer à une politique salariale qui favoriserait des gains de productivité. Bien au contraire.

Jean-Pierre Aubry

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne. 



FAUSSE ROUTE



Les travailleurs québécois ont obtenu des acquis de haute lutte. Ils ne les ont pas volés. Par ailleurs, il n'est pas souhaitable pour une société de voir s'effondrer sa classe moyenne laquelle contribue à garnir les coffres de l'État. Au lieu de traiter les professionnels de la santé et de l'éducation comme des marchandises interchangeables, la CAQ aurait intérêt à leur témoigner tout le respect qui leur est dû. Ce ne sont pas, de plus, des économies de bouts de chandelle qui remettront le Québec sur les rails mais bien l'éradication de la corruption, une meilleure gestion des dépenses publiques, une intégration efficace des immigrants en milieu de travail et l'indépendance du Québec par rapport à Ottawa.

Mélanie Dugré

Avocate.



CRAINDRE LE CHANGEMENT



Nous sommes un peuple paradoxal. Notre coeur balance constamment entre un brûlant désir de changement, que nous osons parfois maladroitement assumer comme en témoigne la percée surprise du NPD en mai dernier, et une zone de confort douillet,  bien contents que nous sommes de pouvoir nous plaindre de notre sort autour de la machine à café. Dès qu'un parti propose de brasser un tant soit peu la cabane, le doute s'installe dans notre esprit et la peur nous envahit. Pourtant, les propositions mises de l'avant par la CAQ ne sont pas complètement farfelues quand on pense que les enseignants sont grossièrement sous-payés compte tenu de l'ampleur de leur rôle et que la rémunération à l'acte pour les médecins comporte elle aussi son lot d'injustices. Le but n'est pas de signer un chèque en blanc à la CAQ mais d'assumer notre responsabilité de citoyens en posant des questions, en vérifiant la solidité de ces idées et en exigeant des détails et des garanties quant à leur éventuelle mise en oeuvre, le tout avec l'objectif ultime de s'assurer du sérieux et de la crédibilité des intentions de la CAQ. Avoir peur de la CAQ serait une erreur; tout comme la perspective de nous complaire dans nos malheurs.

Mélanie Dugré

Léo Bureau-Blouin

Président de la Fédération étudiante collégiale.

UNE ATTITUDE DANGEREUSE

Feriez-vous confiance à quelqu'un qui vous donne sa parole pour cinq ans et qui la renie à la première occasion? J'en doute. Or, c'est exactement ce que propose François Legault à plusieurs milliers de travailleurs du secteur public en voulant rouvrir les conventions collectives dans les 100 premiers jours de son mandat. La confiance est au coeur de relations de travail harmonieuses. La levée de boucliers suscitée par les intentions de Legault est donc légitime. L'engagement de Legault de rouvrir les conventions collectives s'ajoute aux autres orientations qui laissent perplexe comme l'augmentation importante du coût des études universitaires, l'absence d'engagements en environnement ou les trop nombreux «on verra». La Coalition avenir Québec a une attitude qui rappelle étrangement les premières années du gouvernement Charest, qui proposait à l'époque une vaste «réingénierie de l'État». Rappelons que le premier ministre avait rapidement calmé ses ardeurs après quelques années. Legault pense que le Québec peut faire mieux. Soit, mais cela ne veut pas dire qu'il faille faire entrer un bulldozer dans l'Assemblée nationale.

François Bonnardel

Député de Shefford.

UN NOUVEAU PACTE



Les réseaux de la santé et de l'éducation sont les deux plus importants postes budgétaires du Québec. Malgré tous les milliards injectés au fil des ans, le taux de décrochage scolaire atteint des niveaux alarmants - jusqu'à 30% chez les garçons - et deux millions de Québécois n'ont toujours pas de médecin de famille. La Coalition avenir Québec est d'avis que le statu quo n'est plus acceptable et que les façons de faire doivent être changées au plus vite. Pour ce faire, nous avons proposé de redonner au métier d'enseignant toutes ses lettres de noblesses en augmentant le salaire des professeurs, mais en contrepartie nous désirons que ceux-ci acceptent différents mécanismes d'évaluation. En ce qui concerne les médecins de famille, les statistiques démontrent que le Québec en compte suffisamment pour répondre à la demande, mais que les Québécois ont beaucoup de difficultés à avoir accès à ces derniers. Nous proposons donc aux médecins de changer leur mode de rémunération afin d'encourager la prise en charge de plus de patients à l'intérieur des groupes de médecine familiale. C'est donc un nouveau pacte que nous offrons aux enseignants et au médecins. Un pacte que bon nombre de ces artisans de la santé et de l'éducation ont accueilli favorablement. Il s'agit certes d'une proposition audacieuse et il faut être conscients que les partisans du statu quo - qu'il s'agisse du Parti Québécois, du Parti Libéral ou de certains syndicalistes - vont tout faire pour empêcher ce pacte de se concrétiser. Cependant, il semble qu'une partie importante de la population québécoise soit d'accord avec cette approche et avec un mandat fort des électeurs, il est tout à fait légitime de réécrire les conventions collectives en fonction de ce que la population a demandé démocratiquement.

photo archives La Voix de l'Est

François Bonnardel