Plus de 50% des habitants de la région de Montréal vivent maintenant en dehors de l'île. L'étalement urbain est-il devenu inévitable dans la région métropolitaine? La Ville de Montréal est-elle en mesure de freiner l'exode? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Mélanie Dugré

Avocate.



TROP PEU, TROP TARD



Si Montréal investit présentement des efforts afin de contrer l'exode de sa population vers les banlieues, force est de constater qu'ils tardent à porter leurs fruits. Non seulement l'accès à la propriété est plus difficile que jamais compte tenu du prix des immeubles mais l'avantage de la proximité et de la facilité des déplacements est de moins en moins réel. Bien que certaines améliorations aient été apportées à l'efficacité du transport en commun, le métro reste sale et bondé en permanence et il n'est pas rare de devoir laisser passer plusieurs rames avant de pouvoir y monter ou de voir des autobus ne pas s'arrêter aux arrêts faute d'espace disponible pour les usagers. Quant au charme pittoresque de la métropole et son énergie effervescente, encore faut-il pouvoir survivre au véritable chantier à ciel ouvert qu'est devenue la ville et au festival de rues fermées pour être capable d'en profiter. La décision de s'établir sur l'île ou en banlieue est un choix infiniment personnel qui s'exerce en fonction des ressources et des besoins de chacun. Je persiste toutefois à croire que vivre sur l'île de Montréal et y être propriétaire exigent d'être riche, tolérant et patient.

Mélanie Dugré

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal.



DES TAXES AU MINIMUM



La seule véritable façon pour Montréal de retenir et d'attirer des citoyens est de réduire les taxes au minimum et de leur éviter le plus possible de tracasseries (dont le harcèlement systématique des automobilistes), afin que les familles de classe moyenne aient les moyens et la volonté de vivre sur l'île. L'adoption de mesures coercitives pour freiner le développement des banlieues risque simplement de pousser les familles à s'établir encore plus loin dans la périphérie urbaine. Ce n'est pas un hasard si les banlieues sont si populaires : il existe une importante corrélation entre le développement de la banlieue (appelé péjorativement «étalement urbain»), l'utilisation de l'automobile et la forte croissance économique qui est survenue dans les pays développés depuis la Seconde Guerre mondiale. Des millions de ménages ont pu cesser d'être locataires et commencer à contribuer à leur avoir net grâce aux maisons moins coûteuses bâties sur des terrains plus abordables situés en banlieue. En pouvant se déplacer n'importe où dans la région métropolitaine à l'intérieur d'un délai relativement court, les gens ont pu profiter d'un éventail beaucoup plus large d'occasions d'emploi et de magasinage qu'en se déplaçant en transport en commun. Bref, le développement de la banlieue est un phénomène inévitable et, dans une certaine mesure, il contribue en fait à la prospérité globale de la région métropolitaine.

Archives

Michel Kelly-Gagnon

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



UNE RESPONSABILITÉ MÉTROPOLITAINE



Exode en dehors de l'île de Montréal et étalement urbain ne sont pas synonymes. Par exemple, il y a moins d'étalement urbain à vivre à Longueuil qu'à Baie d'Urfé. Ce qui mêle les choses, c'est que Montréal est une île, ce qui n'est pas le cas de Toronto et de la plupart des autres villes. Il faut donc éviter de confondre les rapports entre le centre-ville et sa périphérie (étalement urbain), et ceux entre l'île et ses alentours (exode hors de l'île). Il faut également faire abstraction des limites municipales qui ont peu à faire avec la répartition géospatiale de la population: un habitant de Westmount, qui est une municipalité défusionnée, est plus près du centre-ville qu'un citoyen de l'île Bizard, qui fait partie de Montréal. Cela étant dit, on doit se préoccuper de limiter autant que possible l'étalement urbain, qu'il se produise dans l'île aussi bien que hors de celle-ci. C'est le but d'ailleurs du plan d'aménagement et de développement qui vint d'être adopté par la Communauté métropolitaine de Montréal et qui a reçu l'aval du gouvernement du Québec. L'adoption de ce plan est une avancée majeure qui n'aurait pas été possible sans la création, il y a une dizaine d'années, de la CMM qui est la seule structure politique ayant compétence sur l'ensemble de la région métropolitaine. Et c'est pourquoi il est si important que ce plan soit mis en oeuvre avec vigueur et persistance. C'est une responsabilité qui incombe non pas surtout à la Vile de Montréal, comme on a tendance à le croire, mais d'abord à la CMM, au gouvernement du Québec et à l'ensemble des municipalités de la région métropolitaine.


Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée.



RIEN D'UNE TRAGÉDIE



L'étalement urbain est accusé d'être la cause de tous les maux, du saccage des terres agricoles au dépérissement des villes centrales. L'expansion de la banlieue n'a cependant rien d'une tragédie. La perte de terres agricoles n'a pas de quoi inquiéter puisqu'on produit aujourd'hui beaucoup plus sur un même lopin de terre qu'il y a quelques décennies à peine. L'expansion des banlieues n'est pas non plus un jeu à somme nulle qui se fait au détriment des quartiers centraux, comme on peut le voir avec la construction de nouveaux quartiers à Montréal (Griffintown, par exemple).  Quant à l'impact de l'automobile (de moins en moins polluante grâce à la technologie), plusieurs entreprises se sont relocalisées près du domicile banlieusard de leurs employés. De toute façon, le transport en commun, et plus particulièrement les trains de banlieue, n'a pas la flexibilité requise pour répondre au développement multipolaire des villes modernes. La revitalisation de Montréal passe bien plus par une diminution du fardeau fiscal et réglementaire des Montréalais et par le relâchement des contraintes au développement résidentiel sur l'île que par un train de mesures coûteuses visant à y garder captif les Montréalais. L'étalement urbain étant causé par l'augmentation de la population et de la richesse, laquelle de ces causes veut-on bannir pour prévenir le présumé fléau de l'étalement urbain?

Adrien Pouliot

Jana Havrankova

Endocrinologue.



SE FAIRE DÉSIRABLE



Parfois, je me demande si Montréal souhaite vraiment retenir ses résidants. Les taxes y sont élevées, plusieurs coins de Montréal sont repoussants de saleté, la circulation automobile y est difficile la plupart du temps et les transports en commun sont bondés et inconfortables. Montréal ne semble pas vouloir non plus attirer les banlieusards pour qu'ils fréquentent davantage ses restaurants et ses institutions culturelles. Les parcomètres, qui ont poussé partout, limitent souvent le stationnement à deux heures. Gare à vous si vous dépassez de quelques minutes! Utiliser le transport en commun? Un autre problème surgit : la rareté des correspondances en dehors des heures de pointe. La prolifération des centres d'achats avec les stationnements abondants et gratuits, ainsi qu'une offre de plus en plus intéressante pour les événements culturels en dehors de l'Île, n'aident pas la cause de Montréal. Nettoyer la ville, offrir le congé de parcomètres les fins de semaine (cela se voit dans certaines villes en Europe), verdir les terrains vagues et montrer que la ville est administrée pour le bien commun améliorerait l'attrait de Montréal pour ses résidants ainsi que pour les visiteurs.

Jana Havrankova

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



RÉVISER LE PLAN D'URBANISME



L'étalement urbain a pu prendre forme quand la mode du béton et des autoroutes faisait fureur dans les années 60. Grâce à ces liens routiers, Laval, Longueuil et les autres villes ceinturant Montréal devenaient des choix logiques et faciles d'accès. Malheureusement, il n'a pas fallu longtemps avant que les désastres de conception que sont les autoroutes Décarie, Métropolitaine, Ville-Marie et la 20 deviennent des stationnements à ciel ouvert presque en permanence. Pourtant les gens ne quittent pas la banlieue pour revenir vers la ville. Il serait difficile de les blâmer! Il n'y a vraiment rien qui donne le goût de revenir à Montréal. Les infrastructures en ruine, les taxes trop élevées, les rues mal déneigées, les labyrinthes du Plateau Mont-Royal, la malpropreté généralisée sont autant de boutons sur un visage qui est pourtant si joli. Mais il faut vraiment avoir une bonne mémoire pour se rappeler du visage tant il y a de boutons! Par le biais d'un plan d'urbanisme révisé et bien pensé, il faut que l'on revitalise tous ces quartiers maintenant laissés à l'abandon et arrêter de penser que créer de la richesse est un péché capital. Montréal doit attirer les investisseurs sans pour autant accepter n'importe quel projet. Pensez à ces gens qui nous ont précédés et qui nous ont laissés les belles maisons de la rue Sherbrooke ou des édifices comme ceux que l'on retrouve dans le Vieux-Montréal. Arrêtons de bâtir pour les 20 prochaines années. Rebâtissons Montréal pour les générations futures et notre présent.

Denis Boucher