Jusqu'à présent, les gestes posés par la commission Charbonneau vous inspirent-ils confiance ? L'appel à tous les citoyens afin qu'ils dévoilent des cas de collusion dans la construction ? La décision de la présidente de diffuser une vidéo plutôt que de tenir une conférence de presse ? Le fait que les audiences publiques ne commenceront qu'en mai ? Que le mandat de la commission soit aussi large ?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.



Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec

PAS UN BON SIGNAL

Quatre mois après sa mise sur pied, la commission Charbonneau a donné signe de vie. Celle qu'on a décrite au départ comme une patente à gosse a accouché, hier, d'une... patente à gosse : un site internet non sécurisé. Ce n'est pas très sérieux! C'est vrai que la structuration d'une telle commission d'enquête est un lourd travail. Toutefois, la commission peut compter sur un budget illimité et profiter des travaux de l'escouade Marteau, du rapport Duchesneau et de l'UPAC. En lançant un appel à la dénonciation citoyenne, la commission donne l'impression de ne pas trop savoir où elle va. L'appel à tous n'est pas à proprement parler un bon signal.  C'est comme si, après avoir investi des dizaines de millions de dollars en enquête policière, la commission n'avait rien à se mettre sous la dent. Même s'il est trop tôt pour juger, cette première sortie nous laisse sur notre appétit. La juge Charbonneau n'a guère le choix : elle doit accélérer les travaux et produire quelque chose de tangible rapidement. Sinon, elle laissera la désagréable impression qu'on retarde les travaux pour ne pas nuire à la prochaine élection. Il est vrai que les apparences sont souvent trompeuses, mais en matière de justice, les apparences sont fondamentales.

Pierre Simard

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc, ex-PDG de la SAQ et de Loto-Québec

UN DOSSIER BIEN GÉRÉ

Politiquement parlant, le gouvernement Charest a bien géré le dossier d'avoir ou non une commission d'enquête dans l'industrie de la construction au Québec. D'une part, il a zigzagué pendant plusieurs années, sachant très bien qu'une telle commission n'est jamais bonne pour le gouvernement en place. Après avoir refusé, puis avoir accepté à moitié pour finalement y aller à fond de train, il a gagné assez de temps pour s'assurer que les résultats négatifs sortiront seulement après les prochaines élections, évitant ainsi que son parti ne subisse une raclée comme cela s'est produit au niveau fédéral avec le gouvernement libéral à la suite de la commission Gomery. D'autre part, il semble évident que la juge Charbonneau va mener sa commission à sa façon, comme elle a le droit de le faire selon la loi sur les commissions d'enquête. Dans ce contexte, il serait ridicule de critiquer ses décisions comme l'appel à tous les citoyens et la diffusion d'une vidéo plutôt qu'une conférence de presse. De plus, que les audiences ne commencent qu'en mai et que le mandat soit aussi large sont des choix qu'elle a faits et qui, à ce stade-ci, n'affectent en rien la crédibilité de sa commission.

PHOTO FOURNIE PAR GAÉTAN FRIGON

Gaétan Frigon.

Mélanie Dugré

Avocate

TRANSPARENCE ET RIGUEUR

L'ampleur de la tâche qui attend la juge Charbonneau et ses procureurs est à la fois remarquable et troublante puisqu'elle témoigne de la sévérité d'un problème sur lequel plusieurs gouvernements ont fermé les yeux au cours des dernières décennies et qui ronge maintenant la racine et l'intégrité de nos systèmes publics. La création de la commission Charbonneau était donc devenue nécessaire et incontournable. Envisagée sous l'angle des relations publiques, l'histoire de cette commission a toutefois débuté du pied gauche puisqu'elle a tellement tardé à être mise sur pied et qu'elle devra porter le fardeau des impairs commis par le gouvernement. Ce dernier doit désormais vivre avec une entité envers laquelle les citoyens entretiendront des soupçons et en laquelle ils n'auront jamais pleinement confiance. Néanmoins, l'appel à tous de la présidente et l'étendue de son mandat sont le reflet de la transparence et de la rigueur avec lesquelles la commission souhaite mener son travail d'investigation. J'estime qu'il faut offrir à la commission la latitude et la liberté nécessaires à l'exercice de ses pouvoirs. Et il faut espérer que les constats, conclusions et découvertes qui émaneront de ce long et fastidieux processus n'aboutiront pas dans un épais rapport qui ira pourrir sur une tablette.

Mélanie Dugré

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

ENFIN, ÇA DÉMARRE

Depuis le temps qu'on en parle, il était temps que la commission Charbonneau débute publiquement ses travaux. La Juge Charbonneau a décidé de se donner les moyens nécessaires pour faire comprendre à tous qu'elle était sérieuse dans son intention de mettre au jour toute forme de collusion dans l'industrie de la construction. Ce n'est pas moi qui vais le lui reprocher, bien au contraire. J'applaudis son audace et je crois qu'elle réussira à ébranler assez les colonnes du temple de la collusion pour enrayer le phénomène. Peut-être suis-je naïf d'y croire mais, comme payeur de taxes, mes attentes sont élevées et il est grand temps que l'on fasse le ménage de cette industrie. Demander aux citoyens de dénoncer des situations de collusion dont ils auront été témoins me démontre à quel point la loi du silence prime dans le milieu et que cette pratique, faite pour éloigner la concurrence et s'enrichir, n'est pas l'oeuvre de quelques-uns mais bien le fait d'arme de plusieurs, et ce, peu importe où ils se trouvent sur le territoire québécois. Séparer le bon grain de l'ivraie dans le secteur de la construction donnera assurément une bouffée d'air frais à ceux qui respectent les règles, tout en assainissant un climat basé sur l'intimidation et les accointances louches au sein de l'industrie de la construction.

Jean Gouin

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale 

UNE ENTREPRISE TITANESQUE

La première sortie publique de la juge Charbonneau aura sans doute permis à la population de comprendre que dans une société de droit, une commission d'enquête ne s'improvise pas sur le coin d'une table. Si  la juge a choisi de ne pas se présenter devant les médias mais de lancer un message vidéo, c'est sans doute qu'elle a estimé qu'elle en est à un stade de son enquête qui ne lui permet pas encore de répondre aux centaines de questions qui auraient sans doute fusé lors d'un point de presse. Ce faisant, elle envoie le message qu'elle n'a pas l'intention de se livrer en pâture aux médias ou de se laisser distraire de son mandat. On devine la complexité de sa tâche et on comprendra peut-être mieux pourquoi le gouvernement a tant tardé à mettre sur pied une telle commission. Lancer un appel à la collaboration du public signifie que les enquêteurs de la commission devront vérifier chacune des informations qu'ils recevront pour en mesurer le sérieux. L'étendue du mandat de cette commission donne le vertige et la juge Charbonneau n'a d'autres choix que de procéder méthodiquement, selon les règles et sans se laisser bousculer par quiconque. L'empressement manifesté par un François Legault, à titre d'exemple, à voir défiler des coupables, relève de l'opportunisme politique. On disait que tout le Québec voulait de cette commission. Maintenant, il faut la laisser travailler à son rythme. À qui fera-t-on confiance si on commence à remettre en cause les premières décisions de la juge Charbonneau ?

Francine Laplante

Femme d'affaires

UNE CRÉDIBILITÉ À ÉTABLIR

Je suis complètement désillusionnée face à ce que j'ai vu et entendu mardi. J'avais l'impression d'être devant des juniors qui ne savaient pas du tout par quel bout commencer et comment aborder la situation. J'aurais aimé que la juge se présente devant les journalistes et qu'elle réponde aux questions, une fois pour toutes. Arrêtez avec le devoir de réserve! À cette étape-ci, ce qui est primordial, c'est d'établir la crédibilité de la commission en connaissant clairement ses paramètres et d'instaurer la crainte de la commission.  Qui aura le goût de divulguer quelque information que ce soit à ces gens inaccessibles? Et avec tout ce qui s'est dit sur les nombreuses failles du site internet de la CEIC qui pourrait être facilement piraté, c'est le comble! J'imaginais les véritables fraudeurs - les grands responsables de toute cette corruption -, bien assis dans leur salon, écouter les propos de la juge et de son équipe, et je les voyais se bidonner carrément! Ces ignobles individus en ont vu bien d'autres et en plus ils ont tout le temps voulu pour trouver des moyens d'éliminer les preuves et faire taire les témoins gênants. Je voudrais être convaincue, mais je suis plutôt découragée!

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

DES RÉSULTATS CONCRETS D'ABORD

J'aurai confiance en cette commission lorsque je verrai des résultats concrets. Les allégations de corruption et de collusion fusent de toutes parts depuis des années. La population, à hauteur de 80%, demandait une commission d'enquête depuis fort longtemps. Jean Charest a fait la sourde oreille et a créé des escouades d'enquête qui, pour l'instant, ont été incapables d'arrêter et surtout d'accuser les gros joueurs de l'industrie de la construction sur qui pèsent les soupçons. Je trouve déplorable et à la fois rassurant que ce soit des journalistes d'enquête qui nous dévoilent certains faits troublants concernant la corruption qui semble, selon leurs dires, être érigée en système bien structuré pour remplir les poches de certains individus avec l'argent des contribuables. En serions-nous là aujourd'hui si ce n'était de ces journalistes? Permettez-moi d'en douter. L'appel aux citoyens est logique et essentiel. Afin de mener à bien une telle commission d'enquête, tout témoignage est important. Pour autant que la commission puisse garantir la sécurité des «délateurs». Sans quoi personne ne se présentera à la barre des témoins. Le début des audiences en mai seulement me laisse croire que nous serons appelés aux urnes au moi d'avril. Ainsi, le PLQ aura toute la latitude voulue afin de faire réélire Jean Charest avant que certaines révélations ne puissent l'atteindre, s'il y a lieu. Mon plus grand souhait est que cette commission ne tourne pas en vaudeville ou en cirque comme ce fut le cas, selon moi, avec l'inutile et dispendieuse commission Bastarache.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO

UN APPUI INSUFFISANT DU GOUVERNEMENT

Jusqu'à présent, les gestes posés par la commission Charbonneau m'inspire confiance.  J'ai bien apprécié l'appel à tous lancé par la juge Charbonneau et le médium qu'elle a choisi pour le faire.  La sobriété me semble de mise. Je pense que la commission doit être aussi transparente que possible, mais elle doit aussi éviter de faire un «show» médiatique, comme ce fut un peu trop le cas avec la commission Gomery.  Avant de commencer des audiences publiques, elle doit s'être bien préparée.  Aller trop vite risque de lancer la commission dans une mauvaise direction et de réduire ainsi son efficacité. J'ai trouvé le court message du ministre des Transports, Pierre Moreau, qui a assuré la collaboration de son ministère, tout au plus correct. J'aurais aimé que le premier ministre Charest appuie l'appel à tous lancé par la juge Charbonneau en invitant tous les Québécois qui peuvent aider la commission par leur témoignage de le faire.  J'aurais également aimé savoir du premier ministre si les fonctionnaires municipaux et du gouvernement pourront témoigner de ce qu'ils ont vu et entendu dans l'exercice de leur fonction, sans craindre pour leur emploi et pour leur carrière. Quelles seront les règles à suivre pour ces fonctionnaires?

Jean-Pierre Aubry

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne 

SIMULACRE DE JUSTICE

Les commissions d'enquête mises sur pied dans la tourmente de scandales ont rarement porté fruit, car elles visent à créer un simulacre de justice. Puisque les bons comptes font les bons amis, la plupart des témoins importants (souvent frappés d'amnésie ou de cécité temporaire) s'en tirent à bon compte. Seuls quelques malchanceux voient leur tête rouler... La commission Charbonneau s'apparente à un coup d'envoi libéral en vue des prochaines élections ; un feu d'artifice qui en met plein les yeux sans faire de lumière. La vidéo de la juge Charbonneau ressemble à une capsule humoristique digne de figurer dans un Bye Bye. Cet appel public à la dénonciation est grotesque.

François Bonnardel

Député de Shefford

TOUT LE QUÉBEC EN BÉNÉFICIERA

Malgré toutes les tergiversations imaginées par le premier ministre pour ne pas donner les pleins pouvoirs à la commission Charbonneau, elle a finalement obtenu un mandat large qui lui permettra de faire toute la lumière sur les allégations de collusion, de corruption et de malversations dans l'industrie de la construction. Ma collègue députée de Lotbinière, Sylvie Roy, avait été la première à réclamer la tenue de cette commission d'enquête publique et il aura fallu 948 jours au gouvernement libéral pour céder devant la pression populaire. Maintenant qu'elle est en place, nous espérons qu'elle prenne tous les moyens nécessaires pour bien faire son travail. Si un appel plus large à l'ensemble de la population permet de collecter davantage d'information afin de faire la lumière sur d'autres cas de collusion ou de corruption touchant l'industrie de la construction, c'est tout le Québec qui pourra en bénéficier. Au bout du compte, les audiences publiques pourront aussi en bénéficier et nous espérons qu'elles se tiennent dans les meilleurs délais.

photo archives La Voix de l'Est

François Bonnardel