Devrait-on interdire aux élèves d'utiliser le cellulaire dans les écoles primaires et secondaires, comme le suggère une enseignante? Si oui, le gouvernement devrait-il adopter une loi à cet effet? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Martin Lépine

Professeur de didactique du français à l'Université de Sherbrooke et enseignant au primaire et au secondaire pendant 10 ans. 



FAISONS-LES ENTRER DANS LES CLASSES !



Le gouvernement du Québec souhaite investir des millions de dollars pour équiper la grande majorité des classes du Québec, d'ici 2016, de tableaux blancs interactifs et d'ordinateurs portables pour les enseignants. Plutôt que d'investir mur à mur dans ces technologies qui deviendront obsolètes avant même que les classes de la province en soient équipées, pourquoi ne pas se pencher sur la meilleure façon d'intégrer à l'enseignement et à l'apprentissage de diverses disciplines scolaires les technologies que les élèves ont déjà en leur possession? Pourquoi ne pas user des téléphones cellulaires dits intelligents, par exemple, pour faire apprendre à lire, à écrire et à communiquer oralement, les trois compétences qui sont à développer en classe de français au primaire et au secondaire? Sortons les téléphones cellulaires des corridors et des cafétérias des écoles, soit, mais ne fermons pas d'emblée la porte à leur exploitation didactique réfléchie et ponctuelle, bref intelligente, dans les classes pour enseigner et faire apprendre dans une ère technologique. Que le gouvernement laisse ainsi les vrais professionnels de l'éducation que sont les enseignants des écoles du Québec choisir les avenues pédagogiques les plus riches et porteuses pour la réussite éducative et sociale des jeunes qu'on leur confie.

PHOTO FOURNIE PAR MARTIN LÉPINE

Martin Lépine

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse.



L'APPEL DU CELLULAIRE



Il est vrai que le cellulaire est devenu une plaie sociale. À l'école comme ailleurs, la dépendance à cet appareil électronique augmente sans cesse. Les jeunes comme les plus âgés sont touchés par ce fléau. On ne peut plus se passer de son téléphone intelligent ou non. À l'école, les élèves sont déjà soumis à des règles strictes. Ce qui ne les empêche pas de tricher en classe sous les pupitres ou derrière leurs effets personnels. À la fin d'un cours, la vaste majorité sort le cellulaire pour dire à tous leurs amis que leur cours vient de se terminer. Auparavant, les étudiants demandaient des pauses pour aller fumer, maintenant c'est pour appeler. Il y a toujours une urgence pour justifier le coup de fil à donner ou le texto à envoyer. Mais c'est la même chose au volant, au cinéma, au théâtre, au restaurant, dans la rue, partout! Il ne reste pas un seul endroit où l'appel du cellulaire ne se fait pas sentir. Alors, est-ce que le gouvernement devrait encore une fois légiférer pour encadrer l'utilisation des cellulaires à l'école, comme il l'a fait pour la conduite automobile? Non. À toujours vouloir régenter la vie privée et publique des citoyens, on finit par les déresponsabiliser. Donnons l'exemple de modèle de comportements civilisés, responsables et équilibrés, les plus jeunes vont finir par nous imiter. Les règles sont déjà là, respectons-les en commençant par ne pas autoriser nos enfants à partir à l'école avec un cellulaire.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



ET LA RESPONSABILITÉ DE L'ÉCOLE?



L'utilisation des cellulaires en classe pose plusieurs problèmes potentiels : distraction, tricherie, plagiat, dénigrement instantané des élèves et des enseignants. La solution parait évidente : les cellulaires devraient être interdits en classe. Mais faut-il demander au gouvernement de légiférer? Les directions d'écoles ne sont-elles pas capables d'imposer une interdiction du cellulaire une fois le seuil de la classe franchi? N'est-il pas possible de confisquer le cellulaire aux élèves récalcitrants? Pourquoi encore se tourner vers le gouvernement? Va-t-il devoir légiférer sur l'habillement des élèves? De toute façon, ce serait à l'école d'assurer le respect d'une éventuelle loi. Par ailleurs, il est illusoire de défendre les cellulaires en dehors des classes, même si leur usage demeure à certains égards problématique : massacre du français, mais aussi harcèlement et intimidation, plus faciles à mener avec  l'instantanéité du cellulaire. Pour enrayer ce fléau, des stratégies beaucoup plus vastes sont nécessaires. Certaines vont à l'encontre des dogmes actuels : il faut « communiquer » sur tout, le plus vite possible, partout, avec le plus de monde possible, en tout temps. Devrait-on commencer à dire : « Il faut tourner son cellulaire sept fois dans sa main avant d'envoyer un message texte »?

Jana Havrankova

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.

DE LA DISCIPLINE ET DU RESPECT



Le cellulaire est devenu un compagnon inséparable sur lequel on peut compter en tout temps. Les avantages de son utilisation sont nombreux, à un point tel que la retenue n'existe plus. Un texto par-ci, un appel à un ami par-là, sans oublier de se rapporter à ses parents qui exigent que leurs jeunes enfants leur donnent des nouvelles de temps à autre. La suggestion d'une enseignante d'interdire aux élèves du primaire et du secondaire l'usage du cellulaire est loin d'être dénuée de sens mais, de là à recourir à une loi pour ce faire, en dit long sur notre incapacité à faire respecter la discipline dans nos écoles. Parce que le vrai problème il est là : la discipline. Nous allons tous au cinéma, théâtre et concert avec nos cellulaires. Au moment où le spectacle débute, il y a toujours cette voix douce qui vous demande d'éteindre votre appareil. Et nous le faisons tous, ou presque. Les directions d'école devraient interdire l'usage du cellulaire dans les classes. C'est un minimum requis. À l'enseignante ou l'enseignant maintenant de faire respecter la consigne. Sinon, on confisque l'appareil pour la journée. Pour moi, c'est une question de respect envers les autres. Il n'y a rien de plus choquant, lorsque vous allez au resto, et que les convives s'excusent continuellement pour aller répondre à leur sacré cellulaire. Changeons quelque peu nos habitudes et ayons un minimum de respect pour notre entourage. L'exemple est un outil pédagogique très puissant. J'espère que l'on n'aura pas à faire adopter une loi pour garantir le respect. Ce serait le comble.

Jean Gouin

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial.



PAS BESOIN D'UNE LOI POUR L'INTERDIRE



Il est maintenant interdit de conduire une voiture, cellulaire en mains. Malheureusement, il n'est pas rare de croiser un automobiliste qui l'utilise encore. Faut-il faire une loi qui va interdire l'utilisation du cellulaire en classe? Évidemment, non ! La nouvelle loi qui interdit d'utiliser le cellulaire au volant est inapplicable totalement. Une loi qui ne peut s'appliquer n'a pas à être promulguée puisqu'elle est inefficace. Le Parlement n'a pas à entrer dans le fonctionnement des classes. Les règlements de l'école doivent interdire tout simplement l'utilisation d'un tel appareil à l'intérieur des salles de cours. À chaque école de trouver les moyens d'appliquer ce règlement. Les sanctions doivent être sévères et appliquées en toutes circonstances. Pourquoi interdire un tel instrument en classe? La raison est fort simple. Son utilisation dérange les étudiants, distrait le professeur, annihile l'attention. C'est l'un des redressements qu'il faut de toute urgence faire saisir à la communauté estudiantine. On ne va pas à l'école pour se «socialiser» avant tout et communiquer avec ses copains et copines. On va à l'école pour s'instruire, apprendre, découvrir, acquérir de nouvelles connaissances. Tout ce qui peut détourner de cet objectif doit être écarté. Le cellulaire est un moyen de communication extraordinaire. Je m'en sers, le temps venu. Malheureusement, les adultes, sur ce point, ne donnent pas toujours l'exemple. Quelqu'un me racontait, dernièrement, le fait suivant. Lors de la remise des certificats promotionnels, des étudiants de son cégep, le directeur général de l'institution, le député du comté, pendant l'opération de remises des diplômes, étaient tellement captivés par ce qui se déroulait devant eux, osaient pitonner généreusement sur leur cellulaire. Le monsieur qui me narrait la chose en était gêné ! Interdiction du cellulaire en classe. OUI. Une loi? Non, nous en avons suffisamment qui sont inapplicables. Un bon règlement scolaire? OUI. Des professeurs qui donnent l'exemple et des directions qui en font autant. Et qui appliquent eux-mêmes ce qu'ils demandent aux autres? OUI !



Nestor Turcotte

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



L'ÉCOLE PEUT SÉVIR



Le gouvernement du Québec a adopté une loi interdisant le cellulaire au volant avec laquelle je suis d'accord. Le conducteur d'un véhicule a besoin de diriger toute sa concentration sur la route. De plus, personne n'est dans l'habitacle afin de rappeler au chauffeur que le fait d'utiliser le cellulaire au volant peut être extrêmement dangereux. Or, dans une classe d'école, la situation est différente. L'enseignant est en mesure et détient l'autorité nécessaire afin d'interdire à ses élèves d'utiliser leur téléphone cellulaire. Il est beaucoup trop facile de légiférer sur tout et sur rien. Les comités de parents et les nombreux commissaires n'ont qu'à proposer aux directions d'écoles de voter un règlement comportant des sanctions pour interdire totalement le cellulaire et les textos en classe. Les directions d'école n'ont-elles pas le pouvoir d'instaurer un tel règlement? Sinon pourquoi sont-elles en poste? Il faut aussi impliquer les parents afin que ceux-ci puissent expliquer à leurs enfants que le téléphone cellulaire en classe est inadmissible et cause, tout comme au volant, des distractions et nuit à la concentration. Voter des lois semble être à de plus en plus à la mode dans notre société. Mais encore faut-il se responsabiliser, donner des pouvoirs et rendre imputables les personnes en autorité. Sans quoi toutes ces lois prendrons le dessus sur notre liberté.

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



UNE QUESTION DE POLITESSE



Il faudrait peut-être penser à légiférer les parents plutôt que les cellulaires! Les appareils cellulaires sont très utiles et ont souvent prouvé leur grande valeur en cas d'urgence. Les bannir complètement serait probablement une erreur, mais il est inconcevable que des élèves du primaire et du secondaire se promènent en tout temps et en toutes circonstances avec des portables. Je ne crois pas que la très grande majorité d'entre eux soient en attente de la signature d'un important contrat ou d'une mission humanitaire! La moindre politesse est d'éteindre son cellulaire pendant les réunions. Des enfants de 10 ou 15 ans seraient certainement avisés de faire de même. Il faut cependant arrêter de croire que le gouvernement peut tout légiférer. La politesse comme le bon goût et les bonnes manières, ça ne se trouve pas dans les lois mais bien dans l'éducation que les parents donnent à leurs enfants en leur inculquant le respect des autres.

Denis Boucher

Mélanie Dugré

Avocate.



POISON!



D'emblée, la notion d'interdit m'apparaît comme une méthode d'éducation peu convaincante; surtout à l'adolescence, période de la vie où la prohibition suscite attrait et excitation. Mais force est d'admettre que parfois, les interdictions constituent l'unique façon d'instaurer des règles et d'éviter des abus. L'invasion des cellulaires dans nos vies a ceci de troublant qu'à un âge où ils viennent à peine de délaisser poupées et camions de pompiers, des enfants, au nom du sacro-saint argument de la sécurité, se voient offrir des cellulaires sophistiqués sans autre recommandation ni conseil d'usage. Loin de prôner le retour au téléphone à roulette, j'estime plutôt qu'il nous appartient, comme parents, d'enseigner à notre progéniture l'art de la bienséance dans les communications modernes, au même titre que nous leur apprenons les règles de politesse élémentaires dans les relations avec autrui. Mais en cette ère de déresponsabilisation parentale, j'ai bien peur qu'une loi interdisant la présence du cellulaire dans les salles de cours et encadrant son utilisation dans les aires de vie scolaire est probablement la meilleure, et malheureusement la seule, solution afin d'offrir à nos enseignants un milieu de travail qui ne sera pas empoisonné par la vibration d'appareils à travers lesquels tant de jeunes définissent leur existence.

Mélanie Dugré

Francine Laplante

Femme d'affaires et mère de cinq enfants.



UNE PLAIE



Le cellulaire est devenu une véritable plaie. Je crois sincèrement que nous n'avons aucun autre choix que d'adopter une loi spéciale afin de l'interdire dans les écoles. Par ailleurs, je trouve plus que déplorable que nous en soyons réduits à ça. Encore une fois, nous mettons entre les mains du gouvernement nos responsabilités parentales. Pourquoi ne pas interdire nous-mêmes, en tant que parents, le cellulaire à nos enfants. Ce n'est pas normal qu'un enfant du primaire ait un téléphone cellulaire. Encore une fois nous nous défilons de nos responsabilités en donnant à nos enfants ce qu'ils veulent pour acheter la paix et avoir la paix ! C'est désolant! Profitons également de cette occasion pour réévaluer le lien qui nous unit à notre téléphone intelligent. Je sais bien que de mon côté, je n'ai de leçon à donner à personne. Le cellulaire a réussi à prendre une place trop importante dans mon quotidien et vous savez quoi? J'en ai honte !