Le gouvernement Harper a-t-il raison d'adopter une loi spéciale pour empêcher le déclenchement d'une grève ou d'un lock-out chez Air Canada? Le transport aérien est-il un service essentiel? L'impact d'un conflit sur l'économie canadienne est-il un motif suffisant? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Paul Daniel Muller

Économiste.



PAS UN SERVICE SI ESSENTIEL



La grève et le lock-out font partie des moyens de pression légitimes que les parties doivent pouvoir utiliser dans un régime de relations de travail (relativement) libre. A priori, les gouvernements doivent faire preuve de la plus grande circonspection avant d'intervenir. Ils doivent examiner de près le caractère « essentiel » d'un service. Jusqu'à quel point l'est-il vraiment ? Cela dépend entre autres de la disponibilité des alternatives. Dans le cas du transport aérien, Air Canada a des concurrents sur un grand nombre de ses routes. Ses concurrents sont bien sûr d'autres transporteurs aériens. Mais aussi Via Rail et, sur les liaisons courtes, l'automobile et l'autobus. La vidéoconférence, maintenant abordable et bonne qualité, est devenue une alternative pour certains types de voyages d'affaires. En raison de toute cette offre alternative, le service d'Air Canada, en particulier, n'est pas aussi essentiel que cela, du moins partout. Une loi spéciale interdisant la grève ou le lock-out pourrait être limitée, dans sa portée, aux routes d'Air Canada où l'offre alternative est insuffisante. Cette portée sélective pourrait inclure, par exemple, les routes desservant des localités dans le Nord ; elle exclurait sans doute la route Montréal-Toronto.

Paul-Daniel Muller

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



UN SERVICE ESSENTIEL



Le transport aérien est un service essentiel au même titre que les transports en commun en sont un. Le Canada ne peut absolument pas se passer de son principal transporteur aérien. En ce sens, le gouvernement Harper a bien fait d'agir et de le faire avant que n'éclate le conflit. Bien que plusieurs n'utilisent que peu ou pas l'avion, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un lien essentiel surtout dans un pays aussi vaste que le nôtre. Il est impensable que des compagnies comme Westjet ou Porter aient pu prendre le relais pour les différentes liaisons desservies par Air Canada. Une grève aurait effectivement eu des impacts profonds sur l'économie et aurait ainsi fragilisé une reprise économique qui n'en finit plus de véritablement démarrer. Je suis toutefois curieux de savoir ce que le gouvernement Harper ferait advenant une menace de grève chez Westjet ou même chez un plus petit transporteur comme First Air. Il serait intéressant de voir si ces transporteurs bénéficieraient du même traitement car, d'une certaine façon, le gouvernement octroie un avantage concurrentiel à Air Canada si cette dernière sait que le spectre de la grève ne se réalisera jamais.

Denis Boucher

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



LE NON-RESPECT DES LOIS



Le gouvernement Harper ne veut pas que les employés d'Air Canada exercent le droit de grève que la loi canadienne leur accorde. Il est clair que le gouvernement ne peut pas invoquer l'existence d'une situation exceptionnelle; selon lui, l'exercice de ce droit serait toujours néfaste pour l'économie canadienne et pour le bien-être des Canadiens. En somme,  il a décidé de passer outre la loi canadienne.  L'utilisation du Conseil canadien des relations industrielles pour évaluer l'effet d'une telle grève sur la santé et la sécurité des Canadiens est non seulement un faux prétexte pour gagner du temps mais aussi une atteinte à la valeur de cette institution. Si le gouvernement ne veut pas que les employés d'Air Canada et d'autres institutions privées ou publiques aient le droit de grève, il doit expliquer sa position au public canadien et faire adopter par le Parlement un changement à  la loi canadienne. En agissant comme il il fait présentement, non seulement les travailleurs de ces institutions ne pourront pas exercer un droit qu'il ont, mais le gouvernement se met lui-même au dessus des lois canadiennes. Une telle façon d'agir sera extrêmement néfaste à long terme pour la société canadienne. Le gouvernement Harper me fait penser à ces prédicateurs qui incitent la population à suivre une série de règles de vie sous peine de damnation éternelle et qui sont les premiers à ne pas suivre ces règles et à le justifier en définissant des exceptions pour leur comportement.  Faites ce que je dis et nos pas ce que je fais. Quelle incohérence!

Jean-Pierre Aubry

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale.



DROIT DE GRÈVE OU NON?



Le droit de grève, c'est l'exercice d'un rapport de force. C'est un droit reconnu historiquement dans les lois. En Grande-Bretagne ou en France, les grèves chez les transporteurs aériens sont monnaie courante. On peut certes comprendre que la population ne tolérerait pas que les médecins ou les policiers fassent grève, car cela mettrait en péril des services essentiels et ultimement, la vie des personnes. Avec toutefois moins de conséquences néfastes, il est certain que la grève des employés d'Air Canada conduirait facilement à des perturbations économiques importantes bien que dans une certaine mesure d'autres transporteurs puissent prendre le relais. Le gouvernement interviendrait-il s'il y avait menace de grève chez Westjet ou Porter ? En votant des lois spéciales à répétition, le gouvernement se trouve pratiquement à renationaliser le transporteur devenu société privée. En interdisant le recours au lock-out autant qu'à la grève, Ottawa exerce probablement une pression indue sur le résultat des négociations entre les parties patronales et syndicales. Cette position nous amène à penser que le gouvernement se donne désormais le pouvoir de décider  à la pièce, si un groupe ou un autre qui pensait bénéficier du droit de grève ou de lock-out, peut désormais l'exercer. Si c'est le cas, le gouvernement doit compenser par d'autres mesures les parties lésées, mieux définir les services essentiels, le cadre des négociations et certainement, engager un débat national sur ces questions.

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP, à Québec



DÉFICIT DE CONCURRENCE



Air Canada occupe une position dominante dans l'industrie du transport aérien au pays. Ses parts de marché comptent pour 60% des voyages intérieurs et 40% des voyages internationaux. Parce qu'elle profite d'une clientèle captive, elle peut s'approprier une rente de quasi-monopole en imposant des tarifs anormalement élevés sur certains vols intérieurs. Évidemment, cette rente attise la convoitise des syndiqués. D'autant plus, que la captivité de la clientèle sert avantageusement le pouvoir syndical : on peut prendre en otage les voyageurs canadiens pour se faire octroyer des salaires et des bénéfices marginaux démesurés. Arrive alors Big Brother! Le gouvernement réplique en adoptant une loi spéciale censée protéger notre économie et les consommateurs. Décidément, une situation déplorable en entraîne une autre. En réalité, si le gouvernement voulait vraiment protéger les consommateurs, il s'efforcerait de restaurer une saine concurrence dans cette industrie. Une concurrence qui permettrait aux consommateurs de payer un juste prix pour les services de transport aérien; une concurrence qui permettrait aux travailleurs d'exercer leur droit fondamental de faire la grève pour être rémunéré à leur juste valeur. En attendant, cette loi spéciale sert de pansement temporaire à une situation insatisfaisante pour tous les Canadiens.

Pierre Simard