La Presse nous apprenait récemment la création d'un site internet, Seekingarrangement.com, développant un marché singulier: celui de la mise en relation entre des hommes riches et de jeunes courtisanes. Le slogan du site? «Nous mettons en relation des riches bienfaiteurs et des belles filles ou de beaux garçons».

Ne soyons pas naïfs. Les plus beaux et les plus belles ont toujours eu tendance à se désirer. La «loterie de la naissance» est inévitable. À cette évidence «physique» s'ajoute une évidence sociale: la puissance, la richesse, la renommée, l'élégance, ont toujours joué dans les rapports de séduction, qui ne se vivent pas sur le registre de la transparence égalitaire.

La figure du vieil homme puissant qui accumule les maîtresses est classique. Mao comme Kissinger ne disaient-ils pas que le pouvoir est le plus puissant des aphrodisiaques? Le marché ayant remplacé l'État, l'argent a succédé au pouvoir. Aujourd'hui, la libération féminine y met du sien. On connaît ainsi le «nouveau» phénomène des Cougars, ces quadragénaires à la recherche de jeunes hommes, chair fraîche à dévorer.

Mais on reconnaissait encore récemment une certaine pudeur dans la confession des «critères» déterminant la conquête de l'autre sexe. Elle s'est dissipée. On le voit avec les sites de rencontre qui déconstruisent la personnalité de chacun selon une série de critères: beau, musclé et tatoué, belle, sensuelle et au sexe percé, aucun accroc ne sera toléré.

La part du charme, de l'inattendu, de l'improbabilité, des contrastes attirés l'un vers l'autre, tout ce qui fait le génie de la romance amoureuse est finalement remplacé par une liste d'épicerie. On ne se surprendra pas de voir le cynisme triompher chez ceux qui font une expérience aussi appauvrie du désir.

La téléréalité contribue aussi à cette marchandisation de la quête amoureuse. Avec elle, la quête amoureuse officialise la stratégie des uns et des unes pour séduire la plus belle proie et remporter le gros lot, une maison, une voiture, et surtout, une célébrité éphémère.

Dans cette perspective, Seekingarrangement.com radicalise la réduction des hommes et des femmes à de simples marchandises appelées à se consommer tant qu'elles parviennent à se faire valoir sur le marché du désir. Mieux encore, le capitalisme sexuel fonctionne ici avec des sujets consentants à leur propre marchandisation.

Autre chose: ici, la révolution féministe est sans effet. Pas de cachoterie. L'homme doit être riche et puissant. La femme doit être jeune et sexuellement désirable. Si on préfère, l'homme doit avoir une Mercedes, la femme doit avoir les seins fermes et refaits. Le marché du sexe ne tolère pas les pauvres, ni les laides. La quête amoureuse vire à l'exhibitionnisme mondain.

On ne sera pas surpris de la croissance de l'industrie de la beauté, qui amène chacun, et surtout chacune, à se mirer dans l'idéal hollywoodien de la jeunesse éternelle. Elles ont l'impression qu'à défaut de s'y soumettre, elles ne pourront même pas concourir dans la grande compétition de l'amour. Comme si une fois la jeunesse passée, l'existence n'avait plus de sens.

Évidemment, il ne faut pas mal se comprendre. Nul ne souhaite révoquer la révolution sexuelle. La libération des corps a déculpabilisé la poursuite des plaisirs, découragée par un puritanisme conjuguant morale chrétienne et austérité bourgeoise. Il n'y a rien à espérer d'une nostalgie pour l'idéologie victorienne, qui n'était pas sans masquer son lot de perversions.

Mais rien ne nous interdit de voir «l'envers de la médaille». C'est le pari du romancier Michel Houellebecq, qui a bien montré comment la révolution sexuelle a généré des égalités infiniment plus difficiles à corriger que les inégalités socio-économiques. La vieille pudeur n'était pas sans hypocrisie. Elle représentait pourtant le bouclier des humbles. Il n'est pas interdit d'éclairer les faiblesses du présent à partir des vertus d'hier.