Les auteurs sont économistes et respectivement candidat au doctorat en histoire économique à la London School of Economics et candidat à la maîtrise en économie du développement à l'Université d'Oxford.

Le 4 novembre, le Directeur général des élections a annoncé que le regroupement de François Legault, la Coalition pour l'avenir du Québec, était devenu un parti politique. Nous aurions pu espérer que l'engouement généré par la création de ce nouveau parti en incite les fondateurs et militants à proposer un renouveau en termes d'idées, mais nous nous avouons amèrement déçus.

Les «caquistes» ont davantage misé sur la mise en marché de l'idée du «changement». Toutefois, le «changement» de personnalité politique que M. Legault semble peut-être incarner ne cache en fait que du petit réchauffé qui reflète une vision dépassée du Québec et de l'identité québécoise. Le discours tenu par M. Legault et ses caquistes trouve ses racines dans un nationalisme identitaire défensif et inquiet qui puise sa justification dans la peur.

Face à ce qu'il qualifie de «déclin du français» et de «problèmes d'intégration des immigrants», l'alignement caquiste propose une réduction du nombre d'immigrants. Il faut avoir oublié de regarder les données du recensement de Statistique Canada pour même suggérer un «déclin du français». En 2006, on observait pour la première fois qu'une majorité d'allophones (51%) vivant au Québec avaient adopté le français comme principale langue d'usage à la maison, ce qui contraste avec les 39% obtenus en 1996. Il n'y a jamais eu autant de personnes parlant le français au Québec dans toute son histoire qu'aujourd'hui.

D'autre part, l'immigration bénéficie autant, sinon plus, à la société d'accueil qu'aux immigrants eux-mêmes: l'intégration et l'interculturalisme sont des processus d'échange culturel, économique et humain dont la responsabilité (et les bénéfices) revient aux immigrants et à la société d'accueil. Proposer de réduire le nombre d'immigrants pour aborder des problèmes en matière d'intégration, c'est suggérer que le fardeau de ces problèmes repose entièrement sur les épaules des immigrants et que ceux-ci sont les seuls responsables. Pour les caquistes, les immigrants sont le problème et ne font pas partie de la solution.

Derrière cette proposition, fondée sur une vision dualiste de la société québécoise (les «vrais» Québécois, d'une part, les «autres», les immigrants, d'autre part), se cache un discours qui trahit et renforce des stéréotypes (immigrants = problèmes) et la fermeture identitaire au détriment de l'ouverture à l'Autre et de l'échange.

Une solution ouverte doit plutôt nécessairement passer par une augmentation des chances et opportunités pour les immigrants de s'intégrer au sein de la société québécoise, notamment par l'échange et le travail (comme pour l'un des auteurs de cette lettre qui est fier d'avoir choisi de se définir comme Québécois parce que c'est au Québec que sa famille a pu réaliser ses rêves). Si augmenter les ressources dédiées à l'intégration harmonieuse est une bonne idée, l'idée caquiste de réduire le nombre d'immigrants pour répondre à des problèmes réels ou inventés est pernicieuse.

Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010, admettait récemment que la chose la plus importante qu'il avait apprise dans sa vie est que «les cultures n'ont pas besoin d'être protégées par les bureaucrates». De son avis, elles ont plutôt besoin «de vivre à l'air libre» et doivent «être exposées aux comparaisons constantes avec d'autres cultures qui les renouvellent et les enrichissent, leur permettant de se développer et de s'adapter au flot constant de la vie». Selon lui, la «vraie menace» culturelle provient des «démagogues et chauvinistes» qui ont peur du changement et d'exposer leurs propres sociétés à la réalité.

Dans un monde où les frontières tombent et les opportunités d'échange interculturel n'ont cesse de se multiplier, M. Legault ne propose pas le changement: il en a peur.