Les paris sont ouverts: François Legault va-t-il s'effondrer comme un château de cartes ou prendre le pouvoir lors des prochaines élections? Depuis presque dix ans, la volatilité de l'électorat est telle qu'il est impossible de formuler sérieusement une prédiction précise. Il n'en reste pas moins que ses résultats dans les sondages depuis un an nous amènent à croire qu'il sera minimalement un adversaire incontournable. Cinq raisons expliquent ses premiers succès.

La première est sans aucun doute sa volonté de tourner la page du débat constitutionnel. Il dit tout haut ce que bon nombre de Québécois pensent depuis quelques années. Il incarne un rejet des clivages traditionnels. Ni souverainiste ni fédéraliste, il se définit comme un nationaliste, avec toutes les ambivalences que ce mot contient. À sa manière, il incarne le changement de paradigme que les Québécois ont provoqué sur la scène fédérale le 2 mai dernier.

La deuxième raison est sa position sur l'axe gauche/droite. Si à première vue on le classe à droite, un examen de ses idées nous amène à croire qu'il se situe plutôt sur les cases centrales de l'échiquier. Pas de médecine à deux vitesses ni de privatisation massive, il ne propose pas un État plus petit. Bien plus, on ne trouve aucune trace d'une droite morale chez lui. Par ailleurs, il n'envisage pas de nouvelles politiques sociales universelles. Il veut transposer dans le public certaines pratiques du privé: décentralisation, imputabilité, émulation, une approche centrée sur les résultats et non les processus. Ici aussi, il rejoint bien des Québécois qui ne veulent pas payer plus d'impôts et qui trouvent que les fonds publics sont mal gérés.

Troisièmement, sa volonté de rompre avec les vieux partis est un autre atout. En créant une nouvelle formation, c'est là qu'il répond le plus au désir de changement. Mario Dumont en avait profité, mais il n'avait ni l'expérience ni l'équipe. La position de la Coalition dans les sondages depuis un an donne à M. Legault ce qui manquait à M. Dumont, le temps pour attirer des candidatures fortes. Son premier défi sera d'absorber l'ADQ discrètement sans apparaître comme l'ADQ 2.0. Et s'il parvenait à dénicher quelques péquistes ou libéraux, il consoliderait l'idée de coalition.

Son quatrième atout est sa personne. Ni tribun, ni particulièrement charismatique, François Legault n'a pas cependant pas à installer sa crédibilité. Son parcours en affaires, sa gestion de quelques ministères et sa défense de la Caisse de dépôt le positionnent dans l'imaginaire collectif comme un acteur expérimenté et modéré. Son discours est simple, sans lyrisme, fait de courtes phrases. En ce sens, il rejoint une approche pragmatique de la politique. C'est le principe de réalité qui le portera, et non le goût de rêver.

La cinquième raison de son succès est le momentum. Le PQ vit la pire tourmente de son histoire. Les libéraux sont usés par le pouvoir. Le leadership et la militance des deux grands partis portent les stigmates de débats non résolus et de projets avortés. Bref, la CAQ apparaît au bon moment.

Reste que certaines cartes seront plus difficiles à jouer au fil du temps. Sa position médiane entre fédéralisme et souverainisme risque d'être malmenée par ses adversaires qui l'obligeront à faire une profession de foi d'un côté ou de l'autre. Chasser la question nationale est plus facile à dire qu'à faire, du moins à long terme.

Sur l'administration publique, il y a tout lieu de croire que certaines de ses propositions devront faire face à des frondes organisées. Bien plus, si des solutions magiques avait été disponibles et faciles à mettre en place, d'autres gouvernements les auraient vues. Quant au nouveau parti, il faudra voir les personnalités choisies. Là aussi, l'épreuve du réel cognera à la porte des «caquistes».

Malgré les incertitudes, il faut reconnaître que la scène politique québécois a bien besoin de quelques audacieux pour tenter de dissiper la morosité actuelle.